Candidate au poste de directrice régionale de l’OMS Afrique, nous avons rencontré l’ex-ministre ivoirien de la santé et de la lutte contre le Sida. Dans cet entretien, le Pr. N’Dri Yoman Thérèse explique l’importance du poste qu’elle veut briguer, ses motivations et jette un regard critique sur l’évolution de la lutte contre le Sida et les mesures de luttes contre le virus de l’Ebola.
Informateur.info : Madame le ministre, vous être candidate au poste de directrice régionale de l’OMS Afrique. Quelle est la place et l’importance de ce département du système des nations unies pour l’Afrique ?
La région sanitaire de l’OMS Afrique fait partir des six régions de l’organisation mondiale de la Santé et cette région regroupe 47 pays dont la Côte d’Ivoire. A la tête de cette région sanitaire nous avons un directeur général qui est élu pour un mandat de 5 ans, renouvelable une fois. C’est au niveau des régions sanitaires de l’OMS que les grandes décisions sont prises et c’est aussi là que les grandes résolutions arrêtées par l’OMS sont appliquées. C’est une plateforme essentielle pour faire bouger les résultats sanitaires de la région africaine.
Informateur.info : Votre candidature a été validée récemment par le gouvernement ivoirien en conseil des ministres. Ce qui fait de vous la candidate officielle de la Côte d’Ivoire. Au delà de cette onction, quelles sont les motivations qui vont poussent à briguer ce poste ?
Je crois modestement que j’ai une pratique de 30 ans dans la santé. J’ai constaté que beaucoup d’efforts sont faits au niveau de la région africaine pour améliorer le niveau de la santé. Aussi bien par les Etats membres que les partenaires qui appuient le secteur de la santé. Mais en dépit de ces efforts les résultats restent insuffisants et l’Afrique au niveau des indicateurs de santé est la région où il y a de moins bon résultats. Durant tout mon parcours professionnel, j’ai eu à poser des actes en matière de santé publique et je pense pouvoir faire bénéficier à la région de mon expertise pour un bon impact sur la santé de la population. Je voudrais donc mettre ce que j’ai pu acquérir comme compétence, et comme expérience à la disposition de l’OMS.
Informateur.info : Vous avez choisi comme slogan « Plaçons la santé au cœur de l’émergence de l’Afrique ». Concrètement, comment y parvenir quand l’Afrique reste encore le foyer des pires épidémies de la planète ?
Il est à noter aujourd’hui que tous les pays africains sont dans la mouvance de l’émergence. Il y a eu une conscience des Etats africains qui se manifeste aujourd’hui et si cela se maintient il est évident que l’Afrique ne sera plus le dernier des continents alors que paradoxalement c’est le continent qui a le plus de ressources. Tout le monde parle donc d’émergence, mais on ne peut pas atteindre un développement économique si on n’a pas une population en bonne santé. Ce sont les citoyens des Etats qui mènent la politique de développement et qui les appliquent. Si cette population n’est pas valide, il serait illusoire d’atteindre un développement durable. C’est pourquoi, en même temps qu’on parle de développement socio-économique de l’Afrique, on doit mettre une priorité sur la santé qui est la base de tout. Voilà pourquoi j’ai décidé d’associer la santé à l’émergence.
Informateur.info : Vous avez récemment lancé un appel pour une candidature unique au niveau de la sous région. On y voit le souci de ne pas aller en rang dispersé à cette élection. Mais est-ce que votre appel a eu un écho favorable ?
Pour le moment chacun mène sa barque. Chacun pense avoir les atouts et les chances de son côté. Nous battons campagne. Peut-être que d’ici la fin de ce mois nous obtiendrons un consensus. Mais à défaut, on ira aux élections.
Informateur.info : Question d’actualité Madame le Ministre, le virus de l’Ebola a causé plus d’un millier de morts. Un commentaire sur les mesures de prévention en cours ?
Les actions de lutte contre le virus de l’Ebola sont à saluer parce que nous avons une mobilisation mondiale autour de la question. Alors qu’il y a quelques temps la question était traitée au niveau sous-régional et régional. Mais depuis deux semaines la lutte se mène au niveau international. La directrice de l’OMS s’est rendue à Conakry et a même promis une aide importante pour lutte contre cette maladie. Si le monde se mobilise pour nous aider pourquoi alors ne pas nous impliquer. Les mesures qui sont prescrites doivent être respectées. La communication doit être libérée sur cette question. Nous savons que des patients ne se sont pas présentent aux autorités sanitaires dans certains pays. Mais cette attitude est un danger pour la population. Il faut impliquer les leaders communautaires, et religieux pour qu’ensemble avec les acteurs de la santé on puisse mener des actions pertinentes et efficaces. J’attire l’attention du personnel de la santé sur les risques liés à l’infection. On a perdu beaucoup de médecins et d’infirmiers. J’invite le personnel de santé au respect des mesures d’hygiène hospitalière. Tels que le lavage des mains, et le port des équipements de protection. Je pense que ce sont des choses qui doivent rentrer dans les habitudes. Quand vous avez un patient devant vous, il ne se présente pas souvent avec des signes patents de l’Ebola.
Informateur.info : Madame le ministre, vous avez été une pionnière du combat pour l’accès aux antirétroviraux des patients en Côte d’Ivoire. Quel commentaire sur l’évolution de la prise en charge du Sida en Côte d’Ivoire ?
Il y a eu des avancées en matière de la prise en charge de la lutte contre le Sida et en matière de la disponibilité des médicaments. Mais l’Afrique de manière générale reste encore dépendante en matière de prise en charge. Aujourd’hui, l’épidémie qu’on pensait pouvoir limiter reste encore, malheureusement, préoccupante. Il y a plus de nouveaux cas par an. Je crois que nous devrons poursuivre la sensibilisation des mesures préventives. Ce n’est que la prévention qui puisse interrompre la transmission, notamment chez les jeunes. La disponibilité des antirétroviraux sont le fait de l’aide des partenaires. Nous devrons avoir des unités de production comme cela s’est fait en Afrique du Sud et au Brésil. Au début on avait un nombre prescrit de CD4 auxquels on doit donner les ARV. Ce processus a progressé. De 200 on est passé à 350. C’est dire qu’il y a beaucoup plus de personnes qu’on devrait pouvoir mettre sous traitement. Aujourd’hui, on parle même de traitement préventif sans même plus regarder le taux de CD4. Tant que vous êtes détecté séropositif on doit pouvoir vous mettre sous traitement. Mais pour le faire, il faut disposer des médicaments. Je crois que notre challenge aujourd’hui c’est de se battre pour intensifier la sensibilisation et avoir des unités de production des antirétroviraux.
Propos recueillis Par Jean François Fall