‘@Informateur.info- Le 3 février 2021 le Conseil d’Etat a rendu la décision N°31 relativement au litige foncier du lotissement Djibo Kamon dont il a été saisi par tierce opposition. Ainsi le Conseil d’Etat a pris une décision qui réhabilite ledit lotissement qui avait été annulé, quatre ans auparavant, par l’arrêt N°74 du 29 mars 2017 de la Cour suprême. Cette décision de justice pose un sérieux problème de droit, tant dans la procédure que dans le fond. Ce qui nous amène, nous, communauté villageoise de Mafiblé1 à la dénoncer et à interpeller le Chef de l’Etat, garant de la justice, à avoir un regard sur ce qui ressemble à une alchimie.
- De quoi s’agit-il?
Dans les années 1980, un planteur de notre village, Mafiblé1, du nom de Kodjovi Grégoire exploitait une carrière sur laquelle il a obtenu des autorisations, documents à l’appui des autorités. D’abord du ministre Paul Gui Dibo, puis du ministre Yed Essaie Angoran et ensuite du Contre-amiral Mohammed Lamine Fadika. Le ministère de l’agriculture de cette époque a reconnu à la famille Codjovi des droits acquis en leur délivrant huit (8) attestations pour leurs plantations. En janvier 2013, nous apprenons avec étonnement que les parcelles de la famille Codjovi ont fait l’objet d’un lotissement qui a même été approuvé par le ministère de la construction. La famille qui entend préserver ses droits acquis saisit le tribunal et obtient une décision de suspension de tout bornage. Le village d’Abouabou fait appel de cette décision de suspension et est débouté. Nous disposons, à cet effet, du certificat N°177/GCA de non-signification de pourvoi en cassation.
- Les raisons de l’annulation du lotissement
Quand la décision de justice a été signifiée au ministre de la construction, la direction du service juridique et contentieux dudit ministère a aussitôt adressé un courrier (N°5122) en date du 29 octobre 2013 au directeur du domaine urbain, l’informant que la parcelle de 546 hectares mise à la disposition du village d’Abouabou relève une contestation sérieuse qui nécessite une enquête publique. Le 30 octobre 2013, le même service juridique du contentieux prend une décision de sursis (N°5137) de délivrance de tout acte administratif et demande la suspension de la création des titres fonciers et des ACD sur le lotissement Abouabou Djibo Kamon en attendant que le litige soit vidé. La suite de cette procédure va aboutir le 29 mars 2017 à l’annulation par l’arrêt N°74 de la chambre administrative de la Cours suprême du lotissement en question. En avril 2019, il y a eu une rétractation à travers l’arrêt N°80 qui confirme l’annulation définitive du lotissement. Les arrêts N° 74 du 29 mars 2017 et N° 80 d’avril 2019 ont été rendus en appliquant du décret présidentiel N° 95-520 du 05 juillet 1995 portant organisation des procédures, élaboration d’approbation et d’application des lotissements du domaine privé urbain de l’Etat et des communes. L’article 1 et 5 de ce décret disposent que tout lotissement dans une commune d’Abidjan doit faire objet d’une enquête publique. Ce qui n’a pas été le cas du lotissement Abouabou Djibo Kamon d’où la décision de son annulation.
- Les résultats de l’enquête publique non publiés
Le ministre de la construction, Bruno Nabagné Koné, ayant reconnu ce vice de procédure a pris un arrêté (00011) le 17 juin 2020 portant ouverture d’une enquête publique en vue de la régularisation du lotissement Abouabou Djibo Kamon. Le maire de la commune de Port-Bouët, Dr Emmou Sylvestre, à qui le courrier est adressé a, à son tour, pris les décisions N° 854 et 855 l’une portant ouverture de l’enquête pour la période du 2 septembre au 1er octobre 2020 et l’autre portant nomination d’un commissaire enquêteur. Alors que l’enquête a enregistré des oppositions et que nous attendions les résultats (qui n’ont pas été officiellement communiqués), nous apprenions du ministre Koné Bruno Nabagné qui a effectué une visite sur le site le jeudi 20 mai 2021 que le Conseil d’Etat a rétabli le lotissement. Aujourd’hui nous avons obtenu la grosse de la décision que le ministre Koné a annoncée plutôt. A la lecture de l’argumentaire qui fonde cette décision, nous relevons, de nombreuses failles inacceptables dans un Etat de droit.
- Les failles de la décision du Conseil d’Etat
Première faille: l’article 78 de la loi qui organise le Conseil d’Etat stipule que lorsqu’une décision est signifiée ou que l’on a la connaissance requise, vous avez deux (2) mois pour attaquer l’arrêt. Au-delà, vous êtes forclos. Or l’arrêt N°74 de la Cour Suprême a été signifié à la Société mandatée par le village Abouabou pour le lotissement en 2017 et c’est en 2018 qu’elle a saisi le Conseil d’Etat en tierce opposition. Les juges du Conseil d’Etat auraient dû tout simplement déclaré sa requête irrecevable.
Deuxième faille: l’article 78 de la même loi dit que la tierce opposition a pour objet de supprimer les effets à l’égard de la personne. Ici le juge est allé au-delà de ses prérogatives en annulant le premier arrêt qui est devenu définitif et à statuer à nouveau. Ce qui constitue une violation flagrante de la loi. Comment comprendre qu’une société qui n’est pas partie prenante d’une décision (en l’occurrence l’arrêt N°74) puisse demander son annulation et obtenir gain de cause.
Troisième faille : le magistrat se transforme en ministre de la construction en affirmant que du moment où il y a des lettres de mises à disposition on ne doit plus faire l’enquête publique sans nous dire quelle est la loi ou le décret qui permet cette aberration. Pourquoi alors le ministre de la Construction a dû être obligé de demander une enquête publique si cela ne s’imposait pas et pourquoi les résultats de cette enquête qui devraient être publics n’ont jamais été publiés? Et comme par enchantement, c’est dans ces conditions qu’on réhabilite le lotissement Djibo Kamon.
Quatrième faille: le magistrat a évoqué dans son arrêt qu’il existe un acte notarié N° 171 du 25 septembre 2009 et un jugement arrêt 1864. Or il se trouve que la famille Codjovi Grégoire n’est pas partie prenante dans l’acte notarié ni dans le jugement et n’a jamais été signifié dans cet arrêt. L’argumentaire du juge s’est fondé sur des éléments non exacts. De fait l’acte notarié évoqué par le juge concerne 2 lettres de mise à disposition au profit des villages Ana, Brego et Akouegban et 4 pour Abouabou. Ces lettres dont vous trouverez les références ci-dessous ne constituent aucunement des attributions.
– Lettre N°08-3029 442 hectare : 93 A 15 C.A (Abouabou)
– Lettre N°08-3017 57 hectares 06 A 19 C.A (Abouabou)
– Lettre N°08-3021 396 hectares 77 A 12 C.A (Abouabou)
– Lettre N°08-3030 300 hectares 05 A07 C.A (Abouabou)
– Lettre N° 08-2728, 500 hectares, 01 A 35 C.A (Ana)
– Lettre N°08-2729, 500 hectares 08 A 79 C.A (AKouegban)
Ce qu’il convient de préciser est que lors de la mise à disposition de ces parcelles, les chefs avaient souhaité qu’elles soient directement attribuées auxdits villages. Et le juge leur avait signifié que ce n’était pas à la justice de procéder à des attributions mais plutôt au ministère de la Construction. L’on notera également que la parcelle de 546 hectares qui a fait l’objet du lotissement Djibo Kamon ne figure sur aucune lettre de mise à disposition au profit d’Abouabou.
Cinquième faille: Sur quoi un juge peut-il se fonder pour donner droit à une société qui n’a jamais obtenu une lettre de mise à disposition du ministère de la Construction, qui n’est ni partie-prenante dans la décision N°1864ni dans l’acte notarié N°171 qu’il a évoquées.
Sixième faille : Il se trouve que le Conseil d’Etat a, dans le même arrêt N°31 du 3 février 2021, donné droit à Mme Brou Amoin Laurence en lui reconnaissance un titre foncier sur des lots qu’elle aurait acquis en 2015 avec une Société. Comment cette dame a-t-elle pu obtenir un titre de propriété en 2015 alors que dès le 30 octobre 2013, le service juridique et contentieux du Ministère de la Construction avait pris une décision de sursis N°5137 de délivrance de tout acte administratif et suspendu la création des titres fonciers et des ACD sur lotissement Abouabou Djibo Kamon? Une décision qui n’a jamais été abrogé jusqu’à l’annulation dudit lotissement en 2017. Ces actes de propriété en question ne sauraient être obtenus légalement. Or c’est sur ces éléments que s’est fondé le Conseil d’Etat.
- Conclusion
Les failles que nous avons relevées ne sont pas exhaustives mais suffisantes pour prouver que la décision du Conseil d’Etat relève du non-droit. Et si ce n’est pas du droit, ça ne peut être que du business. Ce que le village de Mafiblé 1 ne saurait accepter. C’est pourquoi nous la rejetons, et appelons le président de la République à constater avec nous ces violations de la loi et en tirer toutes les conséquences. Si le Conseil d’Etat est capable de pareilles décisions injustes contre toute une communauté villageoise qu’en sera-t-il des hommes d’affaires qui investissent dans notre pays et qui pourraient être face à lui. Qu’on en juge!
Fait à Mafiblé 1, le mardi 22 juin 2021
Nono Kossonou Yao Grégoire
Conseiller du chef de Mafiblé 1, chargé du foncier