Amadou Kourouma avait trouvé l’image qui sied pour traduire l’avalanche des indépendances qui avait déferlé sur l’Afrique dans les années 60, en titrant un de ses romans de la manière suivante : « Les soleils des indépendances ». Aujourd’hui, l’on peut emprunter à cet auteur cette image pour décrire la cadence infernale des grèves et mouvements sociaux au pays des Hommes intègres et ce depuis la mise en place de la transition.
En effet, le Burkina, peut-on dire, vit depuis la chute de Blaise Compaoré, « Les soleils des grèves ». Les plus récentes sont la grève des travailleurs de la « Brakina » (Brasseries du Burkina) et celle des transporteurs. Et elles ont mis à nu l’incapacité du gouvernement de la transition à encadrer les mouvements sociaux et à les gérer de manière à en minimiser les conséquences sur l’économie nationale et partant sur le bon fonctionnement de la transition et la stabilité du pays. Le premier ministre, Yacouba Isaac Zida, semble avoir perçu le danger que représentent les mouvements sociaux pour le gouvernement et s’est engagé fermement à remettre les choses à l’endroit. En effet, dans un discours solennel adressé à ses compatriotes le mercredi 1er avril dernier, le chef du gouvernement a laissé transparaître son coup de sang à propos, dit-il, « des mouvements de grèves désordonnés, des revendications intempestives qui n’ont de corporative que le nom ». L’objectif de tout cela, poursuit le PM, est « que l’on veut empêcher le gouvernement de travailler et à terme, les élections de se dérouler ». Pour le gouvernement donc, des mains cachées seraient dernière ces mouvements sociaux, à l’effet de contrarier la marche normale de la transition. La question que l’on pourrait se poser après ce coup de sang du PM est la suivante : qui a intérêt à déstabiliser la transition politique mise en place après les événements des 30 et 31 octobre 2014 ? A cette question, l’on pourrait, en guise de réponse, se risquer à pointer du doigt les dignitaires de l’ancien régime et leurs partisans. Ce sont eux en effet, qui pourraient surfer sur cette chienlit qui met à mal l’économie nationale et qui suscite bien des grincements de dents, dans le but de faire accréditer la thèse selon laquelle en dehors de Blaise Compaoré, personne ne peut gouverner le Burkina.
Et ils sont en train de convaincre les esprits faibles que leur thèse est en béton.
La transition est en train de payer pour l’ensemble de ses péchés originels
Mais si cela est avéré, la faute pourrait en incomber aux autorités de la transition. En effet, ce sont elles qui, au nom de l’inclusion, ont permis à tous les loups qui avaient été éloignés de la bergerie par la clameur populaire, de revenir à l’étable. Et les autorités de la transition n’ont posé aucun acte pour dissuader ces loups de travailler à une restauration du système de Blaise Compaoré pour lequel ils n’ont que des éloges dans la bouche. Bien au contraire. Elles leur ont donné toutes les garanties qu’ils peuvent vaquer en toute quiétude à leurs activités politiques, même à celles qui s’apparentent à de la défiance, comme si les événements des 30 et 31 octobre derniers n’avaient été qu’un épiphénomène dans l’histoire du Burkina. Ce sentiment, qui est largement partagé aujourd’hui, vient corroborer une idée qui avait émergé dès le départ en exil de Blaise Compaoré et des siens, selon laquelle un deal avait été passé entre Blaise Compaoré et certains acteurs qui sont aujourd’hui au cœur de la transition.
Et la substance de ce deal dont l’histoire nous révèlera un jour tout le contenu, pourrait être résumée par cette phrase : « Tu te mets à l’abri et nous gérons la suite ». Et la suite a été tellement bien gérée que l’on peut avoir l’impression aujourd’hui, que le veau gras sera très bientôt tué pour célébrer le retour de l’enfant prodigue. C’est pourquoi l’on peut avoir envie de faire deux objections au PM, Yacouba Isaac Zida, lorsque celui-ci dit dans son discours que son gouvernement travaille à solder les comptes de l’ancien régime.
La première objection est la suivante. Avant de chercher à solder les comptes, il faut d’abord demander des comptes. A-t-il seulement demandé des comptes aux dignitaires de l’ancien régime ? Rien. Pourtant, tout le monde sait que le régime de Blaise Compaoré qui a duré pendant 27 ans, ne peut pas être blanc comme neige. Même Yacouba Isaac Zida lui-même l’a relevé dans certaines de ses tirades. Un constat s’impose : tous ces prédateurs qui avaient fui le pays, sont en train de regagner le bercail où ils ne manqueront pas d’utiliser leurs immenses fortunes pour nuire à la tranquillité de certains citoyens dont le seul crime est d’avoir dit à Blaise Compaoré de ne pas toucher à leur Constitution, après 27 ans de règne. La deuxième objection que l’on pourrait faire au PM consiste à lui demander s’il a encore l’autorité politique et morale qu’il lui faut, pour mettre à exécution ses menaces et mettre fin à la chienlit que représente la kyrielle de mouvements sociaux désordonnés dont le pays est le théâtre aujourd’hui. En effet, après avoir été humilié plus d’une fois par ses frères d’arme du RSP et après avoir été obligé de se réfugier chez le Mogho Naba de crainte d’être « fait », l’on peut parier que la préoccupation du PM est de chercher à gérer les choses en « douceur » pour ne pas prendre le risque d’effaroucher ceux qui l’on fait roi et qui détiennent aujourd’hui la réalité du pouvoir. Yacouba Isaac Zida les connaît et il sait qu’ils ne sont pas des enfants de chœur. De ce point de vue, l’on peut dire que toute la pagaille à laquelle l’on assiste aujourd’hui, est imputable à la transition. C’est elle qui n’a pas su qu’une révolution ne se gère pas dans la mollesse, les demi-mesures et les excès de scrupules. C’est encore elle qui a eu la faiblesse de croire que l’on peut donner la confession au diable avant que celui-ci n’apporte la preuve qu’il est dans une logique de repentance. La transition, peut-on dire, est en train de payer pour l’ensemble de ses péchés originels et ses incongruités. Et c’est peu de dire qu’elle est prise à son propre piège. Si elle n’y prend garde, l’addition risque d’être plus salée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Car, plus les jours passent, plus l’hypothèse du retour d’un CDP plus revanchard que jamais, se fait de plus en plus probable. Bien des gens y travaillent et la transition le sait mais feint de l’ignorer. Le réveil, si on n’y prend garde, sera sans aucun doute très douloureux.
Pousdem PICKOU
(Le Pays)