‘@informateur- La brouille entre le président Alassane Ouattara et son ancien président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, insupporte le journaliste écrivain Alexandre Lebel Ilboudo. Dans une lettre ouverte dont nous avons reçu copie, le Prix CNN 2010 du meilleur journaliste africain d’expression française sollicite la médiation de la 1ère dame de Côte d’Ivoire pour faire ré-fraterniser les deux ex-alliés afin que leur désaccord ne s’éternise jusqu’à la tombe. Ci-dessous l’intégralité de la lettre.
Madame la Première dame,
Chère maman, j’ai choisi ce jour symbolique de la fête de l’Assomption qui commémore la montée de la mère du Christ, la Vénérée Vierge Marie, vers le Père Céleste, pour solliciter de vous quelque chose qui me tient particulièrement à cœur. Ce n’est pas évident, mais je m’en vais vous le dire avec empressement, il s’agit de la réconciliation entre le père de tous les Ivoiriens, votre illustre époux, Son Excellence Monsieur Alassane Ouattara, et son «fils» Guillaume Kigbafori Soro, son ancien Premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale.
Quatre années de crise ouverte du fait de désaccords politiques ont profondément entamé la relation entre ces deux hommes d’Etat de grande valeur, désarçonné des millions d’Ivoiriens, des admirateurs, mais aussi, parce que c’est la loi du genre, réjoui leurs ennemis et jeté l’opprobre sur la Côte d’Ivoire nouvelle, œuvre de votre tendre époux.
Je parle de la Côte d’Ivoire nouvelle par opposition à la Côte d’Ivoire défigurée et balafrée par les crises dont la plus meurtrière fut, de toute évidence, celle de 2010 qui a fait plus de 3000 morts et de nombreux dégâts matériels. Ce fut aussi celle des abus, des dérives, des outrances et des outrages ; toutes choses marquées par l’intolérance, le refus de l’altérité, et autres travers aussi inacceptables que détestables. Tout cela est arrivé parce que nous avons manqué de cœur, de sagesse, d’humilité, de tolérance. Nous nous sommes écartés, j’allais dire, des enseignements religieux. Dieu merci, aujourd’hui, la parenthèse de la Côte d’Ivoire en crise s’est refermée et relève désormais de l’histoire.
Madame la Première dame,
Je ferai ici l’économie du climat délétère et des faits aussi graves soient-ils, qui ont concouru à la rupture entre votre époux et son «fils» parce qu’en Afrique, le Pardon et la Paix doivent toujours primer sur la raison. C’est d’ailleurs ce que le philosophe Paul Ricœur qualifie de «consensus conflictuel».
Être opposé politiquement n’empêche pas de fraterniser. C’est pourquoi, Madame la Première dame, je viens respectueusement vous prier de vous impliquer personnellement dans la réconciliation entre votre époux et Guillaume. Au-delà de ce qu’ils ont apporté à la Côte d’Ivoire, de ce qu’ils ont été l’un pour l’autre, nous ne pouvons pas prétendre les aimer en tant qu’Hommes et laisser leur désaccord s’éterniser jusqu’à la tombe. C’est pourquoi, je souhaiterais vivement que vous vous entremettiez afin de les rabibocher. La raison le commande, le vivre-ensemble l’exige. Car, entre Guillaume et le président Ouattara, ce sont des décennies de relations filiales qui ont pris la patine du temps avant de s’étioler dans les contradictions induites par la politique.
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Cela dit, il me plait d’ouvrir une parenthèse. En juillet 2008, j’ai eu le privilège de faire partie de l’équipe de reporters qui a couvert votre tournée dans le Nord (Bouaké, Korhogo, Gbodonon) en compagnie de feu le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly (paix éternelle à son âme). A cette occasion, j’ai pu faire l’expérience de la noblesse de votre cœur. Je me rappelle d’ailleurs ce coup de fil que vous avez demandé expressément à feue Sarah Dicko (paix éternelle à son âme) de me passer à notre retour de mission pour m’exprimer votre satisfaction pour les compte-rendus que j’ai faits de votre séjour dans les colonnes du journal Le Patriote du Premier ministre Hamed Bakayoko (Paix éternelle à son âme). Ce n’était pas évident, je n’étais donc pas peu fier de cette marque de considération et d’estime venant de vous. J’en garde d’ailleurs un souvenir ému. Ça ne s’oublie pas, pour un journaliste. Cela ne m’autorise sans doute pas à m’adresser à vous aujourd’hui, 15 ans après, mais comme vous l’aurez remarqué, la cause de la paix, et du vivre-ensemble surpasse les a priori et me commande d’oser. D’ailleurs, ne dit-on pas qu’aucun sacrifice n’est trop grand pour la paix? Ni aucune initiative…
Madame la Première dame,
Votre grand cœur, votre altruisme connu de tous, et la respectabilité dont vous jouissez ne seront pas de trop pour mener à bien cette mission de haute portée socio-historique. Car de sa réussite va dépendre sans doute la suite de l’histoire. En un mot, vous êtes la personne idoine pour rapprocher, réconcilier et faire ré-fraterniser l’homme que vous avez la chance et le bonheur de côtoyer, de conseiller et de soutenir avec son «fils», Guillaume Soro. Pour la Côte d’Ivoire, et en hommage aux sacrifices consentis par ces deux ex-alliés qui ont tout donné pour que ce beau pays renoue avec la paix et la grandeur sous la férule de votre cher et tendre époux, vous ne pouvez faire moins.
De même que les chrétiens remettent leur cause entre les mains de la mère du Christ dont nous célébrons la montée au ciel, ce mardi 15 août 2023, de même, je remets entre vos mains, Maman Dominique, bienheureuse mère des déshérités et des naufragés de la vie, la réconciliation entre le président Alassane Ouattara et Guillaume Soro.
Il nous tarde, il me tarde, de voir ce prodige se réaliser de mon vivant. Ou du vivant des deux personnalités. Car, nul ne sait l’avenir et la récente disparition du président Henri Konan Bédié (paix éternelle à son âme) que personne n’a vu venir devrait incliner les uns et les autres à davantage de tolérance et de pardon.
Au reste, ne nous y trompons pas, ce sont les vivants qui se réconcilient, puisque ce sont les vivants qui se brouillent. Le président Alassane Ouattara et son «fils» Guillaume n’ont pas d’autre choix que de se réconcilier. Ce n’est pas une option, mais un impératif catégorique. Pour que vienne au jour, véritablement, en son entéléchie, cette Côte d’Ivoire, patrie de la «vraie fraternité» que chante, non sans pertinence, l’Abidjanaise, notre hymne national.
Que Dieu Tout-Puissant facilite votre mission, si ma requête trouve une oreille attentive auprès de vous, en disposant le cœur de Papa Ado, le bravetchè et de son fils Bogota au pardon mutuel et à la réconciliation. La Côte d’Ivoire et les millions d’admirateurs de ces deux personnalités qui vivent comme un crève-cœur la brouille qui vicie leurs relations vous en sauraient gré. Assurément!
Dans cette heureuse attente, veuillez agréer, Madame la Première dame, chère maman, l’expression de mes déférents et filiaux sentiments, ainsi que l’assurance de ma très haute considération.
Abidjan le 15 août 2023
Alexandre Lebel ILBOUDO
Journaliste écrivain
Prix CNN 2010 du Meilleur journaliste africain d’expression française dans la catégorie Presse écrite.