@informateur- Au Tchad, le Premier ministre, Succès Masra qui a annoncé sa candidature à la présidentielle du 6 mai 2024, au cours d’un meeting à Ndjamena le dimanche 10 mars 2024, est-il de taille face à Mahamat Idriss Déby Itno, Général de l’Armée et chef de la transition militaire, qui plus est fils à Président dans un pays qui n’est pas réputé pour être un exemple d’alternance démocratique? La question est pertinente, car la succession à la tête de l’État tchadien se règle, on le sait par la force du fusil et des muscles. C’est pourquoi de nombreux observateurs et l’opinion tchadienne, à commencer par l’opposition politique, n’accordent pas foi à la candidature de Succès Masra.
En effet, l’opposition dénonce une «candidature prétexte» destinée à donner un semblant de pluralité à un scrutin qu’elle considère gagné d’avance par le président de transition Mahamat Idriss Déby Itno. Faut-il le rappeler, Succès Masra, ancien opposant, avait signé un accord de réconciliation avec Déby avant d’être nommé Premier ministre le 1er janvier 2024. Mais ce dernier ne se démonte pas pour autant. Lui entend «Réunir le peuple» tchadien. «Je réponds présent comme candidat à l’élection présidentielle (…) pour réparer les cœurs et réunir le peuple », a lancé ce docteur en sciences économiques de 40 ans, devant des centaines de militants de son parti, Les Transformateurs, lors de son meeting. Mieux, en réponse aux accusations de ceux qui lui reprochent d’avoir rallié la junte, il a répondu : «C’était un accord de réconciliation nationale, un accord des braves», «pour que notre quête de justice ne soit jamais transformée en quête de vengeance (…) Je suis candidat pour être le pilote principal de l’avion», mais «vous devrez choisir la combinaison gagnante que vous voulez, qui doit être pilote et qui doit être copilote», a -t-il rétorqué à ceux qui le soupçonnent d’avoir négocié avec Idriss Déby Itno pour rester son Premier ministre après l’élection. Il est aussi bon de rappeler que Masra a quitté son poste de haut fonctionnaire de la Banque africaine de développement (BAD) pour fonder le parti Les Transformateurs en 2018. Il était l’un des principaux opposants au Maréchal Idriss Déby, le père de l’actuel chef de la Transition militaire tué, l’on s’en souvient, le 19 avril 2021 par des rebelles en se rendant au front, après trente années au pouvoir. Masra avait dénoncé le «coup d’Etat» de son fils Mahamat Idriss Déby proclamé, le lendemain de la mort de son père, chef de l’Etat par une junte de quinze généraux.
Le nouvel homme fort de N’Djamena avait promis de rendre le pouvoir aux civils après une transition de dix-huit mois et à l’Union africaine (UA) de ne pas se présenter aux élections. Mais il avait prolongé la transition de deux ans et a annoncé le 2 mars sa candidature à la présidentielle. Masra, lui, avait organisé, avec d’autres partis d’opposition, des manifestations interdites ou réprimées, jusqu’au 20 octobre 2022, quand des centaines de jeunes, selon l’opposition et les ONG internationales, ont été tués par balles par les forces de l’ordre, et un millier d’autres au moins emprisonnés. La Transition n’avait reconnu qu’une cinquantaine de morts, avant d’accuser les manifestants de «tentative d’insurrection».
Dans la tourmente, Succès Masra avait fui le pays avant de revenir le 3 novembre 2023, trois jours après avoir signé un «accord de réconciliation» avec la junte, lequel accord a permis l’amnistie notamment tous les manifestants du 20 octobre 2022, mais aussi de ceux qui ont tiré sur les manifestants et les ont tués. L’opposition avait alors accusé Succès Masra de «trahir» la lutte et ses propres militants «massacrés». Il faut le souligner, l’ annonce de la candidature de Masra intervient aussi onze jours après la mort du principal rival politique du Général Déby, Yaya Diallo Djérou [le propre cousin de Déby] tué d’une balle dans la tête le 28 février 2024 par des militaires dans l’assaut du siège de son parti, le Parti socialiste sans frontières (PSF). Le PSF, avait dénoncé un «assassinat» destiné à l’écarter de la course à la présidentielle.
On le voit, la situation au Tchad est aussi floue que les contours et les chances de Succès Masra. D’autant plus que, considère un acteur politique averti: «Il n’y a jamais eu de dévolution pacifique du pouvoir par des élections au Tchad, le pouvoir est gagné par les armes et conservé par les armes, et tous les exercices démocratiques ne sont que des manœuvres cosmétiques de légitimation». Non sans évoquer «les six élections triomphales de façade du maréchal Idriss Déby depuis son coup d’Etat en 1990, face à des candidatures faire-valoir souvent suscitées par le pouvoir». Il va sans dire que l’alternance démocratique au Tchad n’est toujours pas garantie, même avec la candidature de Masra qui, lui non plus, n’est pas à l’abri d’une mauvaise surprise de la part du pouvoir militaire en place.
Daouda LY (Avec Sources)