Laurent Bigot est un ancien diplomate français, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest, renvoyé du Quai d’Orsay après avoir publiquement prédit l’effondrement du régime Compaoré et aujourd’hui à la tête du cabinet de consultance Gaskiya. Il estime que le processus électoral burkinabé excluant des candidats sous prétexte qu’ils ont servi l’ancien régime de Blaise Compaoré constitue la principale erreur d’une transition critiquée.
Comment analysez-vous ce coup d’Etat ?
Quand les militaires reprennent la main, ce n’est jamais bon signe. Si on se fie aux premières annonces, le Conseil national de la démocratie (CND) annonce dans son projet la tenue d’élections inclusives. On comprend donc bien que l’exclusion par les organes de transition d’un certain nombre de candidats aux législatives et à la présidentielle a fourni un prétexte au Régiment de sécurité présidentielle (RSP) pour intervenir. Reste à voir si ces motivations sont sincères. L’exclusion de plusieurs candidats aux législatives et de deux candidats à la présidentielle dont Djibrill Bassolé, l’ancien ministre des affaires étrangères de Blaise Compaoré, ne pouvait que mener à la catastrophe. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir tiré la sonnette d’alarme. Nombreux sont ceux qui pointaient une transition dévoyée. Elle a déraillé brutalement.
Quel bilan tirez-vous de cette transition entamée avec le départ de Blaise Compaoré le 31 octobre 2014 ?
Dés le début, elle a fait fausse route. Sa volonté et son acharnement à exclure des hommes politiques ayant servi sous Blaise Compaoré ont fini par la discréditer et par biaiser cette phase politique cruciale pour l’avenir du pays. Avoir servi l’ancien régime n’est pas un crime. Par conséquent, ce motif n’était pas valable pour interdire des candidats de se présenter. Mais les responsables de la transition se sont arc-boutés, quitte à aller contre la décision de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qui a invalidé en juillet le nouveau code électoral. La communauté internationale n’a pas réagi et est restée silencieuse, à commencer par la France qui ne prend plus de positions diplomatiques sur le plan des valeurs et des principes démocratiques. Elle ne l’a jamais fait tout du long de la crise burkinabé. C’est dommage.
Comment interprétez-vous la nomination de Gilbert Diendéré à la présidence du Conseil national de démocratie ?
C’est indéniablement l’homme fort du Burkina Faso. Ancien chef d’état-major et bras droit de Blaise Compaoré, il est dans les coulisses du pouvoir depuis des décennies, sous Blaise Compaoré comme durant la transition. Sa prise de pouvoir par les armes est condamnable. Reste à voir comment il va gérer la suite. Mais pour le moment, il prétend avoir agi pour éviter que le Burkina Faso s’enlise et se divise, à l’aube des élections. Il faut juger sur acte et non sur la parole ou selon la réputation. On va le savoir très vite.
Quelles issues envisagez-vous ?
Tous les scénarios sont possibles. Ce coup d’Etat ira-t-il au bout ? Il est trop tôt pour le dire. Je crois qu’il y avait une véritable défiance populaire vis-à-vis de la transition. La saisie de 5 000 fausses cartes d’électeurs en septembre avait encore un peu plus contribué à renforcer ce sentiment à l’égard de la transition et plus généralement à l’égard de la classe politique. Je note que les leaders de partis politiques en lice pour la présidentielle ont été étrangement silencieux durant la révolution menée par le peuple qui a renversé Blaise Compaoré. Je les ai par ailleurs trouvés particulièrement silencieux ces derniers jours et durant ce coup d’Etat. Ils s’arrangeaient parfaitement de l’exclusion d’un certain nombre de candidats. Or, ils réclament aujourd’hui la tenue d’élections libres et transparentes. Il faudrait qu’ils soient cohérents dans leurs lignes et dans leurs discours. Ils paient aussi le prix fort de leurs errements. Quand on est démocrate, on fait confiance au peuple pour trancher.
Quid de l’impact régional de ce coup d’Etat ?
C’est une nouvelle fragilisation de la sous-région. Plusieurs pays limitrophes organisent des élections présidentielles dans les prochains mois : la Côte d’Ivoire en octobre, le Niger en février 2016. Et le Mali est toujours un Etat coupé en deux. Ce qui se passe au Burkina risque de renforcer l’instabilité d’une région qui n’en avait pas besoin.
Propos recueillis par Joan Tilouine
Lemonde.fr