@Informateur- Il est un trait commun à la classe politique burkinabè au cours des trente dernières années : la plupart de nos leaders ne sont pas résilients, n’ont pas de convictions, sont déloyaux, manquent de courage et sont méchants. Ces contre-valeurs sont en partie la cause de la crise multidimensionnelle qui sévit dans notre pays. En nous fondant sur des faits puisés dans notre histoire, nous tenterons de démontrer notre affirmation qui reste, bien évidemment, discutable.
Edouard Ouédraogo et Boureima Jérémie Sigué. Deux doyens de la presse écrite burkinabè, deux hommes de lettres de très grande culture générale. Ils ont tous les deux connu dans leur parcours des moments difficiles, faits de doutes et d’incertitudes, qui nous enseignent, entre autres, trois valeurs : la résilience, la conviction et le courage.
Le 10 juin 1984, sous la Révolution de Thomas Sankara, l’imprimerie de L’Observateurest incendiée. Le journal n’a plus les moyens de paraître. C’est le début d’une traversée du désert pour Edouard Ouédraogo et pour son personnel. Sous le Front populaire, le célèbre quotidien privé d’informations générales, dont le premier numéro date du 28 mai 1973, se relance le 27 janvier 1989. Les autorités de l’époque, avec les fameux Comités révolutionnaires connus sous l’appellation CR, sont très en colère et montent une cabale contre le journal en l’accusant de parution illégale. Les locaux de L’Obs sont alors mis sous scellés le 30 janvier 1989 – sauf erreur de notre part.
Dans leur méchanceté, les maîtres du pays envoient la SONABEL décrocher le fil pour priver le canard de Nakibéogo d’électricité et s’assurer qu’il ne reparaisse plus. Comme si cela ne suffisant pas, le régime adopte, le 30 août 1990, une ordonnance obligeant un organe de presse qui a cessé de paraître, de formuler une nouvelle demande d’autorisation. Malgré toutes ces tracasseries, Edouard Ouédraogo sait trouver les ressources mentales face à l’adversité.
A la faveur de l’ouverture démocratique, « le Vieux », comme ses disciples de L’Obs le surnomment affectueusement, fait prendre un nouveau départ le 15 février 1991 à son entreprise de presse, rebaptisée « L’Observateur Paalga » (Paalga signifiant nouveau en langue mooré).
Malgré le crime du Conseil national de la révolution (CNR) contre son journal – qui n’a jamais été élucidé ni fait l’objet de poursuites judiciaires – Edouard Ouédraogo ne garde aucune rancune tenace contre le pouvoir d’août 1983, ne voue pas de haine viscérale à ceux qui se réclament de Thomas Sankara. Mieux, ses colonnes sont ouvertes à tous les courants, y compris à ceux qui sont à l’origine de l’autodafé du 10 juin 1984.
Convaincu que la liberté de la presse contribue au développement d’un pays, Edouard Ouédraogo engage, avec courage, son titre dans la critique constructive en vue du renforcement de la démocratie dans un contexte où les réflexes de l’Etat d’exception ont toujours la peau dure. « Si tu fais, on te fait et il n’y a rien », tel est le slogan en vogue à cette période.
L’Obs est toujours là, en dépit des soubresauts politiques et de la crise économique à laquelle est venue se greffer la pandémie de Covid-19. Le fondateur des Editions «Le Pays» a une trajectoire similaire à bien des égards à celle d’Edouard Ouédraogo. Monsieur Sigué, directeur de la presse ministérielle sous le régime de Saye Zerbo, puis directeur général de la presse écrite (le journal Sidwayad’aujourd’hui), est appelé par Thomas Sankara à la direction de la presse présidentielle sous le Conseil national de la révolution (CNR). Il est ensuite affecté à la Radio nationale comme rédacteur en chef. A l’époque, il faut être «fou» pour critiquer ouvertement le système. Le fondateur des Editions «Le Pays»est suspendu à plusieurs reprises, ce qui veut dire qu’il est privé de son salaire tout en ayant l’obligation de venir au service. N’appréciant guère le climat qui règne sur les ondes officielles, M. Sigué refuse d’applaudir les «bêtises» et s’insurge contre la Révolution qu’il juge dévoyée en raison des nombreuses dérives constatées à la base.
En 1986, il s’exile en Côte d’Ivoire où son talent de journaliste lui permet de se faire recruter à Fraternité Hebdo, puis de travailler à Voix d’Afrique, un magazine édité en France dont il devient le directeur de la rédaction. Au temps de l’ouverture démocratique, il retourne au bercail et crée « Le Pays », dont le siège était dans un six-mètres exigu du quartier Koulouba.
- Hommes modèles
Malgré toutes les misères qu’ils ont subies, vous ne verrez pas messieurs Edouard Ouédraogo et Jérémie Boureima Sigué tenir des propos pour chercher à plaire aux Sankaristes ou aux Blaisistes parce que c’est dans l’air du temps. C’est pour ces raisons que nous pensons que ce sont des modèles de résilience, de conviction et de courage. Newton Ahmed Barry (NAB) fait aussi figure de modèle. Journaliste renommé, il reste intraitable avec le pouvoir Compaoré jusqu’à la chute de ce dernier. Il n’en comptait pas moins au sein du régime des amis, et non des moindres. Sous la Transition, il ne s’arrête pas. Il poursuit ses écrits au vitriol, cette fois contre le Premier ministre Yacouba Isaac Zida et sa bande. Devenu président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Newton, nostalgique du journalisme, brise par moments son devoir de réserve de patron d’institution pour se prononcer sur la situation nationale par des prises de position tranchées et défavorables au régime du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), parti aux manettes. Les mauvaises langues l’accusent toutefois de rouler pour la majorité présidentielle, qui aurait favorisé son arrivée à la tête de la CENI. Il se trouve que ce sont des faucons du MPP qui manœuvrent ensuite pour qu’il ne puisse pas rebeloter et pour l’empêcher ainsi de poursuivre le processus de réformes qui lui tenait à cœur, avec comme objectif de réduire le coût des élections au Burkina Faso.
En plus de NAB, nous pouvons citer des confrères comme Ambroise Tapsoba et Issaka Lingani qui sont restés fidèles à leurs idéaux, constants dans leur position et ont pris position contre le MPP jusqu’à sa chute. Le Français Jean Guion, ami et conseiller de l’ex-président Blaise Compaoré, très attaché au Burkina Faso, figure sur notre liste. Le «vieux Blanc», comme on l’appelle, a créé des pages sur les réseaux sociaux s’appropriant ce sobriquet –« La Chronique du Vieux Blanc» –, sur lesquelles il publie régulièrement son avis concernant l’actualité politique au Faso. Certains lui reprochent ses traits d’humour caustiques et ses écrits acrimonieux contre l’ancien chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré, et contre le MPP, mais il faut reconnaître en lui un homme de convictions, loyal et fidèle en amitié. La liste n’est pas exhaustive. Vous l’aurez remarqué : toutes ces personnalités citées en exemple sont issues du monde des médias. Ce n’est pas seulement dans ce milieu qu’on trouve des hommes et des femmes résilients, courageux et fidèles. Nous en recrutons également au sein de la société civile. Mais en politique, ils sont rares comme les larmes d’un chien.
- Une insulte à Sankara et aux Burkinabè
Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara et douze de ses compagnons sont exécutés. Blaise Compaoré, alors numéro 2 du CNR, s’empare du pouvoir. Le 31 octobre 2014, il est contraint à la démission. Ceux qui l’ont défendu, applaudi et déifié pendant ses 27 ans de règne le traitent aujourd’hui de tous les noms d’oiseaux parce que c’est la «mode», alors que nombre d’entre eux lui doivent leur ascension politique, sociale et financière. Il convient de s’afficher anti-Blaise primaire pour faire oublier tout son passé politique.
On se souvient qu’en 2007, le régime alors en place a commémoré à Pô, les 20 ans de la renaissance démocratique. En clair, l’assassinat de Thomas Sankara était considéré comme la renaissance de la démocratie. Aujourd’hui, certains font le pèlerinage au Mémorial Thomas Sankara pour chanter l’hymne national, pour lever le poing et pour s’exprimer devant la presse afin d’encenser celui-là même qu’ils traitaient de renégat. C’est fort de café. C’est une insulte à la mémoire de Sankara, et une insulte aux Burkinabè qui connaissent bien les trajectoires politiques des uns et des autres.
Sous la Transition, ils étaient nombreux à chanter les louanges du Premier ministre Yacouba Isaac Zida, qui avait la réputation d’être un homme généreux avant même d’occuper la fonction de chef de gouvernement. Depuis que celui-ci vit en exil au Canada, on commence à l’abandonner, sans doute parce qu’il ne crache plus au bassinet comme on le souhaite.
En 2015, Roch Marc Christian Kaboré est élu dès le premier tour de la présidentielle. Son mandat est fortement perturbé par une crise sécuritaire sans précédent. Malgré ces événements, il est réélu lors du scrutin de novembre 2020. La situation sécuritaire se dégrade davantage, au point que son pouvoir est menacé. Le 27 novembre 2021, des organisations de la société civile lancent un appel à manifester pour exiger sa démission, à la suite du drame d’Inata où plus d’une cinquantaine de gendarmes ont été massacrés par des groupes terroristes.
La veille des manifestations, le chef de l’Etat adresse un message à la Nation pour annoncer une batterie de mesures. La tension est palpable. La peur et le doute s’installent dans le camp présidentiel. Pour avoir contribué à faire tomber Blaise Compaoré par la rue, la majorité sait mieux que quiconque qu’une mobilisation grandiose peut en effet conduire à la chute du régime.
Le jour-J, en dehors de quelques fidèles, le gros de la troupe pense que c’en est fini pour le pouvoir de Roch, et est prêt à disparaître dans la nature. Quelques jours auparavant, en privé, beaucoup, comme pour se démarquer du locataire de Kosyam, lui trouvaient tous les défauts du monde…
Si la manifestation du 27 novembre avait renversé le pouvoir, ils auraient été nombreux parmi ceux qui scandaient « Roch la solution », à retourner leur veste et à le renier. Mais ce n’était que partie remise puisque le 24 janvier 2022, le président Kaboré a été éjecté du fauteuil présidentiel par des jeunes officiers intrépides dont certains ont montré leur aptitude militaire sur le terrain de la lutte contre le terrorisme. C’est du reste le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba qui a conduit récemment une opération militaire pour libérer la commune de Nadiagou à l’Est du Burkina Faso.
Avant-hier, les hommes politiques ont traité Thomas Sankara de traître, hier ils ont qualifié Blaise Compaoré de dictateur, d’assassin et de criminel, aujourd’hui ils ont commencé à se démarquer de Roch marc Christian Kaboré et à le traiter d’incapable. Pourtant, ils avaient la latitude de dénoncer sa gouvernance, de s’en démarquer ou alors de lui dire les quatre vérités quand ils étaient dans le même navire.
Le rapport de force ayant changé, toute honte bue, on rénie Roch et on fait les yeux doux au président Damiba. Demain, ils retourneront leur veste contre le locataire de Kosyam dès lors qu’il va transmettre le pouvoir à un civil démocratiquement élu. Tous ces comportements découlent des contre-valeurs que nous avons citées plus haut : le manque de résilience, la déloyauté, l’absence de courage et de convictions.
En réalité, la plupart de nos hommes politiques ne savent pas valoriser leurs compétences pour capter des revenus en dehors des postes de nomination. Ils se nourrissent aux mamelles de l’Etat, si bien que lorsqu’ils ne sont plus ministre, ambassadeur, député ou directeur général, ils dépriment, comme s’ils étaient nés pour occuper des fonctions nominatives ! Quand ils sentent le bateau chavirer, ils se préparent à sauter par-dessus bord avec armes et bagages. Ils manquent suffisamment de courage pour dénoncer les tares du système afin de faire changer les choses de l’intérieur. Si les cadres du régime emporté par l’insurrection de 2014 et les collaborateurs de Blaise Compaoré avaient été suffisamment courageux pour s’opposer au projet de réécriture de l’article 37, sans doute l’ancien chef de l’Etat aurait reculé. Certes, la modification de la disposition querellée était légale du point de vue constitutionnel, mais il n’en demeure pas moins que le contexte n’y était pas favorable et qu’il fallait juste un peu de lucidité pour le comprendre.
A l’occasion du procès de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses douze compagnons, qui se tient actuellement à Ouagadougou, quand vous écoutez certains témoins à la barre, vous avez honte. Voici des gens qui ont œuvré à isoler le père de la Révolution, à écrire des tracts pour l’injurier et pour le traiter de fou. Comme par enchantement, ils sont devenus des admirateurs du leader du CNR, allant même jusqu’à dire parfois qu’après le coup d’Etat du 15 octobre, ils sont allés manifester leur mécontentement auprès de Blaise Compaoré. On veut bien les croire, mais à l’époque, ils sont passés par quel chemin pour aller cracher leur vérité au président Compaoré, entourés par ses chiens de garde du Conseil de l’entente tels que Hyacinthe Kafando et Otis Ouédraogo ?
Du reste, en dehors de quelques-uns comme le capitaine Pierre Ouédraogo ou le médecin-pharmacien Abdoul Salam Kaboré, beaucoup d’entre eux ont été missionnés pour aller expliquer l’avènement de la Rectification à l’intérieur et à l’extérieur du pays, ont participé aux travaux sur le bilan des quatre ans du CNR ou ont plus tard occupé de hautes fonctions sous le régime Compaoré.
- La politique est une courte échelle pour servir ses intérêts personnels
La plupart de nos dirigeants politiques, qu’ils appartiennent à la Majorité ou à l’Opposition, n’ont aucun idéal. La politique est une courte échelle pour servir leurs intérêts personnels et bassement matériels. Ne comptez pas sur eux pour être résilients, loyaux et courageux. Ils sont là pour se servir et non pour servir le peuple. Thomas Sankara doit se retourner dans sa tombe face à tout ce spectacle, Blaise Compaoré est sans doute tétanisé quand il voit et entend autant de gens le renier, Yacouba Isaac Zida est certainement bouche bée et Roch Marc Christian Kaboré doit être dépité.
Dans un tel contexte de reniement, de déloyauté, d’absence de conviction et de courage, il est difficile pour un chef d’Etat de faire face à une crise majeure ; tant ils sont nombreux à ne privilégier que leurs propres intérêts au détriment de ceux de la Nation. Si certains collaborateurs de l’ancien président, l’ex-Majorité et ses partis satellites avaient eu le courage d’affronter le chef de l’Etat dans une discussion franche, sans doute la gouvernance aurait connu une certaine amélioration et le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba et ses hommes ne seraient pas obligés d’intervenir pour «la restauration de l’intégrité de notre Burkina Faso et la sauvegarde des acquis de notre peuple chèrement acquis».
Adama Ouédraogo dit Damiss,Journaliste et écrivain