Dans le cadre de notre série d’interviews consacrée aux principaux candidats à l’élection présidentielle du 11 octobre 2015 au Burkina Faso, Saran Sérémé est l’invitée de Laura Martel. Dans les années 80, son militantisme lui avait valu de s’exiler au Mali. Revenue au pays, Saran Sérémé rejoint le parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), dont elle claque finalement la porte en 2012. Aujourd’hui, elle est considérée comme une égérie de la révolution d’octobre pour avoir conduit la marche des femmes, qui, armées de simples spatules, avaient bravé le dispositif sécuritaire pour dénoncer la modification de la Constitution d’octobre 2014. Elle se présente sous les couleurs du Parti pour le développement et le changement (PDC).
RFI : Si vous êtes élue, quelle sera votre première mesure ?
Saran Sérémé : Ma priorité sera d’œuvrer pour la refondation de l’Etat burkinabè, œuvrer à l’indépendance de l’administration, l’indépendance effective de la justice, reconstruire notre armée, parfois en déliquescence, et surtout œuvrer en faveur de l’employabilité des jeunes, parce que nous avons pour ambition de créer au moins un million d’emplois pour les cinq ans à venir.
Parmi toutes ces priorités, quelle sera la première décision concrète que vous allez prendre ?
C’est vraiment de voir quelles mesures nous pouvons adopter pour refonder l’Etat burkinabè. Nous irons donc dans ce sens à créer des Etats généraux pour effectivement permettre aux populations, à travers une gestion participative, d’apporter leur contribution parce que beaucoup ne relèvent pas quelles sont les vraies problématiques parce qu’ils savent que de toute manière le syndrome des plans et projets dans les tiroirs nous mine.
Vous êtes l’une des égéries de la révolution d’octobre. Pensez-vous être la candidate qui peut le mieux incarner le changement ?
Nous incarnons le changement pour faire des changements véritables à travers la promotion des valeurs fondatrices d’une Nation qui œuvrent vraiment pour le bien-être de cette population, qui œuvrent pour atteindre le développement comme nous l’exigeons harmonieux, équitable et durable. Après avoir participé dans la gestion avec le CDP, nous avons su garder notre lucidité malgré un système de formatage. Donc nous pensons être aujourd’hui un produit de synthèse pour que notre Nation puisse vivre dans la paix et dans un Etat de droit pour aller de l’avant.
Pourtant vous n’avez quitté le parti de Blaise Compaoré, le CDP, qu’en 2012. N’est-ce pas une opposition un peu tardive pour incarner ce changement ?
Il ne faut pas oublier que j’étais d’abord une opposante, que j’ai fait de la prison, que j’ai été réfugiée politique au Mali. Et que quand je suis venue, je suis venue dans un esprit vraiment de cohésion. Mais dès lors que j’ai vu que nous étions dans des dérives qui amenaient à appliquer un système personnel, un système clanique, j’étais la première à quitter le bateau, car personne ne voulait le quitter. C’était la première fois qu’une personne, qui était toujours au bureau Exécutif, osé quitter le CDP. Et c’était à ce moment inimaginable puisque cela montrait que l’effritement commençait.
Que pensez-vous de l’exclusion de certains candidats, anciens partisans de Blaise Comparoé, n’est-ce pas un déni de démocratie ?
Les dispositions du code électoral n’excluent aucun parti politique, mais des individus qui ont posé des actes à un moment donné contre la démocratie et contre le peuple burkinabè. Il ne faut pas oublier qu’il y a eu des morts. Et quand je mets en porte à faux avec l’histoire et qu’on sort par la petite porte, il faut s’attendre quand même à subir des sanctions. En plus, cette loi n’inquiète les gens que pour une période bien déterminée, juste pour permettre au peuple burkinabè d’oublier un peu parce que le peuple burkinabè est un peuple de pardon, il faut que chacun assure ses responsabilités.
Si vous êtes élue, ferez-vous en sorte que Blaise Comparoé revienne au Burkina Faso pour être présenté devant la justice ?
Ma préoccupation sera plus d’abord pour que Blaise Compaoré revienne au Burkina Faso en tant que Burkinabè. Mais il doit revenir assumer ses actes. C’est pourquoi nous lui disons, à un moment donné ‘sachez sortir par la grande porte’. L’honneur voudrait, le respect voudrait qu’il revienne au Burkina Faso. S’il doit être jugé, qu’il le soit. Si le peuple doit lui pardonner, qu’il le soit, même si vous êtes jugés, vous pouvez aussi apporter des conseils pour éviter au moins de poser les mêmes erreurs et les mêmes actes. Mais il n’a rien à faire à l’extérieur de son pays et moi, je serais plutôt fière qu’il soit au Burkina Faso.
Etes-vous favorable à la dissolution du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) comme demandé par la société civile ?
Le problème du RSP est un épiphénomène. Cela démontre que nous devons faire un diagnostic profond de la reconstruction de l’armée. Le Burkina Faso a toujours vu l’armée intervenir dans la gestion politique et, après 27 ans de pouvoir, vous imaginez bien que les mêmes personnes de l’armée qui étaient au pouvoir ne peuvent qu’avoir quand même des problèmes à s’adapter à leur éjection du système. Pour moi, le corps d’élite, c’est les contribuables qui ont payé leur formation. Nous ne pouvons pas brader cela en les dissolvant tout simplement. Mais leur confier d’autres missions et les « caserner » ailleurs. Je ne pense pas que si cela se fait dans le respect il y ait aussi un problème. Nous devons tout juste relire la question du RSP et non œuvrer à ce que nous ayons plusieurs corps d’élite parce que, aujourd’hui, avec les jihadistes à nos frontières, nous sommes obligés d’avoir des corps d’élite qui pourront agir en temps opportun.
Etre une femme, c’est un atout ou un obstacle ?
Je ne cherche pas à me masculiniser pour plaire. Je pense que justement c’est cette spécificité qui est parfois un déni dans certaines zones que je dois transformer en atout véritable pour pouvoir développer des valeurs de paix, de cohésion. Nous devons nous battre tout simplement pour que nous soyons des proactifs. Pour moi, ce n’est pas être femme, mais être homme qui peut permettre à un individu de mener ce combat. C’est être un citoyen consciencieux qui a envie de se battre pour son pays.
RFI