Essis Essoh Claude Mathieu est le président de la Fédération ivoirienne des échecs (FIDEC). Dans cet entretien, il explique les valeurs que procure cette discipline et dévoile son plan pour la vulgariser.
Comment peut-on définir le jeu d’échecs ?
Essis Essoh : Le jeu d’échecs est souvent appelé le jeu des rois. C’est un jeu dont l’origine se perd dans l’histoire de la Perse (C’est-à-dire les ascendants des Iraniens d’aujourd’hui) et de l’Inde. On ne sait pas trop où le jeu est né. Mais dans sa version moderne comme déjà à l’époque, c’est un jeu qui imite la guerre. Le but, c’est d’utiliser six pions qui sont comparables aux soldats. En combinaison avec huit pièces comparables aux officiers. Dans une guerre qui se déroule sur un espace contraint de soixante quatre cases de couleur alternée blanc et noir ou blanc et marron dans la plupart des échiquiers. Dans ce jeu de guerre, chaque joueur a huit pions. Derrière ces pions se trouvent des pièces composées de deux tours, de deux cavaliers, de deux fous (ou bishops en anglais). A cet arsenal, on ajoute une reine pour chaque joueur. Il y a un roi qu’on essaie de protéger à tout prix. Ce jeu est considéré comme le plus complexe des jeux d’intelligence humaine. Parce que le choix des combinaisons possibles pour chaque joueur après deux ou trois coups se trouve dans les millions de millions de possibilités. Il y a une croissance exponentielle rapide de nombre de possibilités que chaque joueur doit utiliser. Et donc pour gagner aux échecs, chaque joueur doit développer des qualités fondamentales que je considère comme nécessaires au succès tout court.
Quelles sont ces qualités ?
La discipline, la maitrise de ses émotions, le respect de l’adversaire, du jeu, des pièces du plateau et des prises de décision. Et parmi ces prises de décision qu’on enseigne dans les meilleures écoles de management, il y a l’identification de l’objectif pour ensuite établir les critères de succès. Par exemple si l’objectif est de passer d’une classe à une autre à l’école, le critère de succès c’est la moyenne de 10 ou mieux. Une fois qu’on a bien identifié et quantifié l’objectif, on identifie les critères de succès. Ensuite, il s’agit de générer suffisamment d’options possibles pour arriver à cet objectif. On ne nait pas champion du monde des échecs ; on le devient. Le joueur d’échecs, dans sa pratique quotidienne, apprend à prendre de bonnes décisions. Bien sûr le résultat de tout cela, c’est le succès dans un match donné comme l’échec dans ce match-là. D’ailleurs selon les spécialistes des échecs, on apprend plus de ses défaites contre des joueurs plus forts que de ses victoires face à des joueurs de moindre valeur. Au fur et à mesure, on développe les capacités de réussir. En raison de ces avantages-là, la pratique des échecs est un art qu’on devrait enseigner à tous les enfants du monde. C’est un jeu qui imite la guerre et il est particulièrement important pour les Ivoiriens. La guerre dont je parle ne cause pas des morts. C’est une guerre symbolique qui permet aux différentes parties en présence de tester leur intelligence, leur formation, leurs qualités personnelles, leur maitrise de soi.
Qui peut jouer au jeu d’échecs ?
Tout enfant peut jouer au jeu d’échecs. Il suffit qu’il apprenne les règles du jeu et qu’il ait un niveau de formation pour comprendre ce qu’il fait. On a remarqué que les enfants qui jouent aux échecs apprennent à se concentrer. Le seul fait de devoir prendre des décisions qui coûtent font que ces enfants améliorent leur capacité de concentration au fur et à mesure qu’ils grandissent et franchissent les différentes étapes de la formation. L’autre élément important du jeu, c’est qu’il imite la guerre. C’est une guerre symbolique qui permet aux différentes parties en présence de tester leur intelligence, leur formation, leur qualité personnelle, leur maitrise de soi. C’est un jeu dans lequel la psychologie de l’adversaire joue un rôle important. Quand on met tout ça ensemble, on se rend compte que ce jeu est quelque chose d’exceptionnel.
Une anecdote sur ce que les échecs vous ont appris ?
Lorsque le président de la République Alassane Ouattara s’est rendu au Vatican, il a offert un échiquier au Pape Benoît XVI. Voici un homme d’exception qui sort d’une situation nationale difficile qui a mis son pays à genoux et qui offre un jeu d’échecs à la personnalité la plus illustre du monde représentant l’institution la plus ancienne du monde occidental. C’est un indice que le jeu d’échecs est une affaire de grand. C’est dans cet acte que j’ai lu l’avènement d’une ère nouvelle pour la Côte d’Ivoire et le besoin pour le pays d’affirmer sa capacité à se projeter dans le monde et à le conquérir par la pratique du jeu d’échecs. C’est dans cet acte que j’ai lu la vision d’un champion du monde des échecs originaires de Côte d’Ivoire. Depuis que je me suis engagé dans cette voie, en dépit de toutes les difficultés d’ordre financier, organisationnel auquel mon action en tant président de fédération s’est trouvée confrontée, j’ai eu chaque fois l’occasion de vérifier que cette grande ambition était possible. La Côte d’Ivoire regorge de talents insoupçonnés en matière de jeu d’échecs. Pour la première fois la Côte d’Ivoire a présenté quatre candidats aux olympiades en août 2014. Ils ont gagné 34 places à la fin du tournoi. Leur meilleur joueur a été consacré maître de la Fédération internationale des échecs. Le second meilleur joueur est consacré candidat maitre. Au sortir de ce tournoi, la Côte d’Ivoire affirme sa place de n°2 en Afrique de l’Ouest derrière l’équipe du Nigeria. Au cours des 15 derniers mois, nous avons eu l’occasion de découvrir d’autres joueurs tout aussi talentueux.
Quelle stratégie comptez-vous mettre en place pour vulgariser la discipline en Côte d’Ivoire?
En termes de stratégie, nous avons tenté de suivre une progression très précise. D’abord, il fallait manifester la présence de la Côte d’Ivoire au niveau international. Nous l’avons fait en présentant notre équipe nationale à Tramseu. A la suite de cela et ayant vu les résultats que nous avons eus avec quatre joueurs classés FIDE, nous sommes revenus en Côte d’Ivoire où nous avons testé le champ en organisant une manifestation à Dabou en janvier dernier. Sur la base de cette manifestation qui a mobilisé la communauté échiquéenne en Côte d’Ivoire et qui se voyait priver de tournoi, nous leur avons donné l’opportunité d’organiser des compétitions. L’autre élément de la vulgarisation est le récent tournoi que nous avons organisé en juillet qui a vu la participation des meilleurs joueurs nigérians et ghanéens. Ce tournoi nous a permis d’avoir 7 nouveaux joueurs classés. Nous avons maintenant 11 joueurs classés. A chaque fois que nous allons organiser une compétition interne sans le pays que je viens de citer, nos joueurs qui ne sont pas classés vont pouvoir rencontrer nos 11 joueurs classés. Chaque joueur doit jouer avec au moins 5 joueurs classés dans un tournoi en 9 rondes et avoir au moins un demi-point pour obtenir le classement. Nous avons également acquis des jeux grâce à la Fondation Garry Kasparov, notre partenaire, à hauteur de 60 millions de francs CFA.
Source (Le Patriote)