Vous pouvez l’aimer. Vous pouvez le haïr. Vous pouvez ou non partager ses opinions. Mais une chose est sûre, Valère Dieudonné Somé est l’un des hommes politiques les plus intelligents et les plus futés du Burkina Faso. Ami d’enfance et compagnon de Thomas Sankara, auteur du Discours d’orientation politique (DOP), considéré comme la bible de la révolution, ancien dirigeant de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (F.E.A.N.F.), l’homme est chercheur en anthropo-économie à l’Institut des Sciences de la Société (I.N.S.S.). Dans cette interview exclusive qu’il nous a accordée le vendredi 19 juin 2015, l’auteur de ‘’Thomas Sankara, l’espoir assassiné’’ revisite et analyse pour nous un pan de l’histoire récente du pays des Hommes intègres.
Bendré : Comment se porte le Dr Valère Somé ?
Valère Dieudonné Somé : Je me porte bien, Dieu merci.
Après avoir lancé le CAP (Comité d’action pour le peuple) par un appel que vous avez intitulé « Appel pour un engagement citoyen » après quelques manifestations dont la conférence de presse au Centre national de Presse Norbert ZONGO (C.N.P.-N.Z.), vous vous êtes éclipsé. Silence radio. Même la chute de Blaise Compaoré et l’avènement de la Transition n’ont pu vous sortir de votre silence. Vous devez avoir de bonnes raisons de ne pas parler ?
Il faut d’abord signaler que l’appel du CAP a été précédé par ma longue interview dans le journal « Le Quotidien » (sur deux numéros) et largement relayé sur le portail en ligne « lefaso.net ». Et dans cette interview qui date du 6 juillet 2012, au moment où aucune voix ne s’élevait contre les visées dynastiques de Blaise et de François Compaoré, j’invitais les Burkinabè à se lever comme un seul homme pour barrer la route à la ‘’dynastisation’’ du pouvoir. J’invitais toutes les composantes de la classe politique à taire leurs divergences qui, somme toute, sont des contradictions secondaires, pour s’occuper de la résolution de ce qui constituait la contradiction principale du moment : à savoir la volonté à peine camouflée d’instituer une monarchie dans notre pays.
Il faut avouer que j’ai pris là un gros risque, au moment où pratiquement tout le monde se taisait.C’est suite à cette interview que, joignant l’acte à la parole, avec nombre de camarades, nous avons entrepris de lancer l’appel du CAP qui date du 23 avril 2013, qui a reçu l’adhésion de 33 organisations (partis politiques et organisations de la société civile). C’était bien parti.
Vous dites que c’était bien parti. Pourtant quelques temps après la machine s’est grippée… Pourquoi ?
Après que le Chef de file de l’Opposition politique (CFOP), sous la direction de Zéphirin Diabré, s’est restructurée et s’est lancée dans la bataille, on a voulu instituer une rivalité entre le CAP et le CFOP.
Parmi les initiateurs du CAP, on comptait des éléments du Congrès pour la démocratie et le progrès (C.D.P.) qui avaient commencé la fronde au sein de ce parti. Ceci militera en faveur de l’accusation portée contre nous d’avoir créé le CAP pour Roch Marc Christian Kaboré. Dans nos échanges avec Zéphirin Diabré, j’avais eu à lui dire que Roch allait démissionner du C.D.P. même s’il n’en avait pas encore conscience. Lorsqu’il démissionnera et qu’il créera son parti, il serait bon que nous nous rangions tous derrière lui pour affronter le candidat du C.D.P. (que ce soit Blaise ou François Compaoré). Seule cette coalition était à même d’emporter la victoire contre le C.D.P. Et j’ai avancé un certain nombre de raisons qu’il ne sied pas que j’évoque ici, non pas que je ne puis le soutenir, mais pour ne pas donner dans l’argumentation de certains politiciens qui défraie la chronique ces derniers temps. Donc, nous avions convenu qu’après la victoire, nous instituerons un régime transitoire de cinq ans (comme au Sénégal) où Roch Marc Christian Kaboré sera le président et lui Zéphirin, premier ministre ou président de l’Assemblée (à son choix). Ce régime transitoire permettrait à chacun de se préparer pour un affrontement dans des conditions de transparence et d’équité.
Je pensais que nous nous étions mis d’accord. Mais voilà qu’aussitôt après m’avoir quitté, Zéphirin Diabré s’est mis à me calomnier auprès de certains chefs de partis du CFOP en disant que je « roulais pour Roch ». Il ne s’en est pas arrêté là. Dès lors, il a jeté un ostracisme sur le CAP, en ne nous associant plus aux manifestations du CFOP. D’ailleurs, il ne fut pas le seul. Ayant la même discussion avec Me Bénéwendé Sankara, celui-ci a entrepris de développer ces mêmes propos aux membres de son bureau politique. N’eût été la vigilance de Fidèle Kientega (aujourd’hui au M.P.P., Ndlr) qui avait assisté à notre entrevue, ces propos allaient être avalisés par les membres du Bureau politique de l’UNIR /P.S.
Vous dites que Zéphirin Diabré s’est mis à vous calomnier ?
Oui. Mieux, il a instrumentalisé ses « gardes blancs » (je ne dirai pas « rouges »), Luc Marius Ibriga (l’actuel président de l’A.S.C.E.) et Augustin Loada (ministre en charge de la Fonction publique) pour qu’il n’y ait pas de collaboration entre leurs organisations (le Focal et le C.G.D. Ndlr) et le CAP. C’est ainsi que nous fûmes écartés du projet de création du « Front de résistance citoyen ». Face à tous ces agissements, je me suis dit qu’à cela ne tienne. Puisque j’étais convaincu que Roch Kaboré démissionnera du C.D.P. et créera son parti. Et je comptais que ce parti viendra renforcer le CAP en y adhérant. En effet lorsque Roch et ses camarades démissionnèrent du C.D.P. et créèrent leur parti, lors d’une rencontre avec certains camarades du CAP qui étaient en train de s’organiser en une force autonome, il a promis qu’après la tenue du congrès de son parti, il intégrera le CAP C’est pourquoi tous ceux qui prétendaient que je « roulais » pour Roch s’attendaient à me voir au sein du M.P.P. Je n’y suis pas allé, pour des raisons que j’ai expliquées à mon ami Roch. Non seulement je n’y suis pas allé mais j’ai encouragé mes camarades du CAP à s’organiser de façon indépendante et à ne pas se fondre dans le M.P.P. Mais hélas, certains ne m’ont pas écouté et ils sont aujourd’hui l’ombre d’eux-mêmes au sein de ce parti.
Donc vous dites que Roch n’est pas venu au CAP finalement ?
Au finish, le M.P.P. n’est pas venu dans le CAP.
Et pourquoi ?
Roch a dû céder face au refus de certains ténors du M.P.P. Alors que pouvais-je faire avec le CAP, pris entre deux tenailles : l’U.P.C. et le M.P.P. devenus tous membres du CFOP ? Voilà pourquoi le CAP a cessé d’exister. Lorsque les camarades comme Etienne Traoré (président de Burkina Yiriwa) sont venus me voir pour continuer à animer le CAP, je leur ai dit que s’ils tenaient à l’existence du CAP, je convoquerai une Assemblée générale où je leur céderai la direction. Parce que je ne saurai continuer à animer un tel regroupement sans les moyens financiers que nécessitent les conférences de presse, les meetings et autres marches. C’est depuis lors, avec la création du M.P.P. et son refus d’adhérer au CAP que je me suis tu.Voilà les raisons de mon silence observé jusqu’à ce jour.
Dans certains cercles politiques pourtant, il se susurre que votre silence était lié au fait que l’un de vos beaux-frères (Salif Kaboré, ancien ministre des mines) vous aurait soudoyé afin que vous gardiez le silence…
J’ai souffert de cette accusation. Je ne suis pas le seul de l’opposition à avoir eu des parents dans le gouvernement de Blaise Compaoré. La première fois que quelqu’un a fait allusion d’une accointance avec mon beau, ce fut Saran Sérémé, la présidente du parti pour la démocratie et le changement (P.D.C.). Nous étions en train d’échanger sur le régime de Blaise Compaoré. Et elle a prétendu qu’il faut se l’avouer, que Blaise a été à un moment donné populaire au Burkina Faso. Et j’ai répliqué en disant qu’elle cherchait à trouver des justifications à sa période de collaboration avec le régime de Blaise Compaoré.
Et c’est là qu’elle m’a jeté à la face le fait que je me dis de l’opposition alors que c’est moi qui ai envoyé mon beau au gouvernement de Blaise pour partager avec lui les avantages du pouvoir. Elle pourra témoigner que ce jour-là nous nous sommes quittés dos-à-dos. Et cette accusation est revenue au moment où l’on brûlait les maisons des dignitaires du régime. A des jeunes qui demandaient pourquoi durant cette insurrection, on ne voit pas Valère, on (je ne veux pas citer) les a laissé croire que c’est parce que Blaise Compaoré m’avait, par l’intermédiaire de mon « beau », donné 50 millions de Francs CFA. Ceci explique cela. Et un groupe de jeunes avaient pris la décision de venir brûler ma maison, n’eût été l’interposition d’autres jeunes.Vous voyez comment les gens peuvent être mesquins, méchants ? Tout ça dans la lutte de positionnement. Malgré le fait que, comme je l’ai affirmé à maintes reprises, je ne suis pas intéressé par le pouvoir et les postes de gouvernement.
Mon « beau » est mon « beau ». C’est ma famille. S’il lui arrive malheur, je compatirai avec lui. S’il lui est fait du tort, je le défendrai. S’il mérite d’être sanctionné, qu’il le soit. Cette attitude, je la garderai vis-à-vis de ma parenté et de mes amitiés. N’attendez pas de moi que je me mette à dire sur la place publique, mes problèmes de famille. Chacun a ses problèmes.
Je peux le dire haut et fort, je n’ai jamais reçu de l’argent de Blaise Compaoré pour me taire.
Au moment où il fallait prendre des risques en attaquant le régime de Blaise Compaoré, je l’ai fait, au moment où les gens se terraient.
L’implosion du C.D.P. et l’avènement du M.P.P., parlons-en. D’ailleurs on vous a vu à l’émission « Surface de vérité » de BF1, exhorter Roch Kaboré à la démission et à créer son propre parti…
Je me contenterai de citer ce que j’avais dit dans mon interview du Journal « Le Quotidien » :
« … aujourd’hui la principale contradiction c’est celle qui oppose le peuple à une minorité de serviles qui soutiennent les Compaoré (Blaise et François) dans leur volonté d’instituer une dynastie au Burkina Faso. Si Dieu fait que le C.D.P. implose, sur la base des divergences sur cette question, alors c’est la démocratie qui sortira renforcée dans notre pays. Tous les démocrates à quelque parti qu’ils appartiennent doivent taire leurs contradictions devenues secondaires, pour trouver une solution à la contradiction principale de notre démocratie.
Et j’invite toute la classe politique, toutes tendances confondues à bien considérer la question : voulons-nous restaurer notre république en une dynastie monarchique ou bien garder le peu de démocratie que nous avons et l’approfondir. C’est dans ces termes que se pose la contradiction principale et c’est en fonction de cela que les gens se rangent. L’avenir dépend de la solution à donner à cette contradiction.
De ce point de vue donc, je considère que toutes les contradictions qui m’opposaient aux uns et autres, au sein de la classe politique burkinabè, sont devenues secondaires. Sauvons la République. Main dans la main, adversaires ou ennemis d’hier, barrons la route à la ‘’dynastisation’’ du pouvoir dans notre pays. En nous mobilisant pour empêcher cette ‘’dynastisation’’ du pouvoir, nous ouvrons la voie à l’alternance.
En laissant s’instaurer la dynastie, il faudra subir une « démocratie » verrouillée à jamais. Je prends un exemple : tous les Zéphirin Diabré et autres réclament l’alternance. Mais si on laisse la dynastie s’instaurer, plus d’espérance pour une alternance quelconque. Mais si le C.D.P. implose et donne naissance à un parti issu de son sein et comme on le susurre, Roch Kaboré et Salif Diallo en prennent la tête, toute la physionomie de notre microcosme politique change du tout au tout et cela nous fera avancer. Donc on déverrouille un peu la démocratie et en ce moment, tout le monde se mettant derrière un seul homme contre les monarchistes dynastiques, alors notre pays, comme le Sénégal avec Macky Sall, pourra espérer instaurer un régime véritablement démocratique.
Démocratie ouverte contre démocratie verrouillée. Chacun sera mis devant ses responsabilités. Nous sommes à la croisée des chemins. Voilà donc l’avenir qui nous interpelle, au pays que nous voulons pays des hommes intègres, dignes, fiers et courageux. »
Et à la question de savoir si je faisais la cours aux frondeurs du C.D.P., voilà quelle fut ma réponse :
« Je ne fais la cours à personne, je fais une analyse froide, qui envisage l’avenir de ce pays. Un avenir sombre ou radieux ? Que les frondeurs du C.D.P. le veuillent ou pas, s’ils ne prennent pas les responsabilités qui sont les leurs, ils seront comptables de leur forfaiture, cependant que l’histoire leur donne la chance de se racheter aux yeux de notre peuple. Ce n’est pas une question d’individu. L’histoire met l’homme devant une tâche. S’il refuse, l’histoire le met alors de côté et d’autres personnes vont apparaître. Je ne fais donc la cour à personne, je fais une analyse froide, mathématique, scientifique. »
Et je disais dans l’interview faite dans le Journal « La référence » :
« C’est la raison pour laquelle je travaille avec mes camarades à affaiblir la F.E.D.A.P. /B.C., à imploser le C.D.P. C’est pourquoi j’ai tenté une politique de charme vis-à-vis de l’A.D.F /R.D.A. qui n’a pas répondu à mes avances. Toutes ces actions avaient pour but d’affaiblir au maximum le camp de ceux qui ont l’intention de s’éterniser au pouvoir. Imaginez que le C.D.P. de François Compaoré s’allie avec l’A.D.F /R.D.A., quel candidat de l’opposition pourra battre cette coalition ? Par contre, si on arrivait à exploser le C.D.P. et, si possible, à rallier l ’A.D.F /R.D.A. à l’opposition actuelle organisée au sein du CFOP, en ce moment, l’alternance sera une option sérieuse.
Mais je défie quiconque de l’opposition d’aller seul contre cette sacro-sainte alliance. Selon moi, c’est maintenant que la lutte commence. Notre combat aujourd’hui, c’est de créer une alliance pour faire venir quelqu’un d’autre au pouvoir. Le CAP est parti sur la base de l’analyse suivante : Blaise Compaoré veut s’éterniser au pouvoir. À défaut, il veut installer son frère cadet, et cela, nous ne pouvons l’accepter. Tout le peuple doit se lever pour œuvrer à l’avènement de l’alternance qui instaurera un régime que l’on pourra considérer comme un régime de Transition après plus de 25 années de pouvoir sans partage ». (« La Référence », n°000 du 15 au 29 novembre 2013)
Je savais que pour tomber Blaise Compaoré, il fallait nécessairement œuvrer à imploser le C.D.P. Norbert Zongo, le premier avait fait cette projection.
Revenons si vous le voulez bien au M.P.P. de Roch Marc Christian Kaboré. Il a été l’un de vos militants à l’Union des luttes communistes reconstruites (U.L.C. /R.) depuis les années 1980 et malgré vos divergences, il est resté comme vous le dites, votre ami. Peut-il compter tout de même sur votre soutien, quand bien même vous avez refusé d’aller au M.P.P.?
L’une des raisons que j’ai données à Roch pour ne pas aller au M.P.P. était que si j’y venais, les intrigues allaient se nouer autour de ma personne afin de nous opposer lui et moi.
Malgré le fait que je ne suis pas allé, les intrigues pour nous opposer n’ont pas manqué.
Vous souvenez–vous d’un article paru dans le journal « Notre Temps » et intitulé « Mahamadi Sawadogo à Roch Marc Christian Kaboré, président du M.P.P. », où Roch a été pris à parti de façon véhémente ?
Malgré le fait que l’intéressé a signé son article en mentionnant même son numéro de téléphone, on a essayé d’amener Roch à croire que j’en suis l’auteur sinon le commanditaire.
Et Roch lui-même en personne me l’a signifié, face à face.
J’en ai souffert. Répondant à l’interpellation du journaliste du journal « Le Quotidien » sur l’appréciation que j’avais de certaines personnalités, voilà ce que disait Roch :
« – Roch Marc Christian Kaboré : je n’arrive pas à éprouver de l’animosité contre lui parce que c’est un ami, c’est mon ancien camarade. Chez lui, tout le monde il est bon, tout le monde il est gentil ».
Et je suis revenu sur cette appréciation dans l’émission « Surface de vérité » de BF1.
C’est tout dernièrement seulement (lors de la venue de Mariam Sankara) que j’ai rencontré ce Mahamadi Sawadogo qui ne se cache pas d’avoir écrit cet article. Bref, ainsi va la vie.
Revenons à la chute de Blaise Compaoré et à la mise en place des organes de la Transition… A quatre mois de la fin de la Transition, quel commentaire vous inspire la direction qu’a prise le pays ?
La Transition est survenue dans la confusion la plus totale. Tout le monde ou presque, a été surpris par le dénouement de la crise, bien que j’aie sonné l’alerte. Je vais encore me citer. Parlant de la paix que Blaise Compaoré a instaurée au Burkina Faso, voilà ce que je disais :« J’ai une autre conception de la paix. Parlons de la paix dans notre pays que je connais. Là où certains peuvent construire des bunkers à coup de centaines de millions sinon de milliard de FCFA, et que nombreux sont ceux qui ne peuvent avoir un taudis pour dormir, on ne peut parler de paix. Ça c’est la paix des hypocrites, il n’y a pas de paix. Mettre les canons dans la rue pour ne pas être contesté, pour se targuer d’avoir la paix dans son pays, ça c’est la paix imposée, c’est la paix terrorisante. Mais si les gens pouvaient s’exprimer librement, faire triompher la justice, on ne verrait pas des gens voler en toute impunité. De quelle paix parle-t-on, lorsque les gens volent sans crainte, lorsque les gens volent et sont félicités en les nommant encore à des postes où ils peuvent aller encore voler ? Cette paix-là, je ne suis pas dedans. Et dire que nous sommes dans une situation proche de l’état de nature, où c’est la guerre de chacun contre chacun, ce ne serait pas faux. C’est une guerre des riches contre les pauvres. Il ne peut parler de paix dans une telle situation. C’est une paix imposée au plus grand nombre qui la subit en attendant le jour pour donner libre cours à sa colère contenue. La paix sociale veut dire qu’il y a équité, que chacun est content de vivre dans son pays sans être agressé, sans qu’on attente à sa vie, sans qu’on ne lui fasse subir l’arbitraire. Quand vous circulez dans la ville de Ouagadougou, ne sentez-vous pas la colère qui gronde dans le peuple ? Ne lisez-vous pas dans les yeux des gens que d’un moment à l’autre qu’une étincelle peut mettre le feu à tout le pays ? Ne voyez-vous pas le regard des gens du peuple de l’exaspération, de l’intolérance et même de la hargne ? C’est comme un volcan en travaille dans les profondeurs et qui attend son moment pour cracher ses laves enflammées. Il faut d’abord balayer devant sa porte avant d’aller mettre de l’ordre chez le voisin… ».
Les manifestations, la révolte du peuple surtout dans sa composante jeunesse, qui ont conduit à la démission de Blaise Compaoré, ont reçu maintes caractérisations : « soulèvement populaire », « insurrection populaire », « Révolution ». Mais à y voir de près, cela rappelle les évènements du 3 janvier 1966 qui ont abouti au renversement du régime de Maurice Yaméogo. Le pouvoir est à terre, le pouvoir est dans la rue et il n’y a aucun parti politique à même de le prendre. On fait appel à l’armée pour l’assumer. Ce fut une révolution manquée, une révolution inachevée. Et le peuple l’a appris à son détriment. Lorsqu’on examine la situation présente, on se rend compte que le régime de Blaise Compaoré est resté intact. C’est le régime de Blaise Compaoré, sans Blaise Compaoré. Bien que la situation était effectivement révolutionnaire, le mouvement populaire des 30 et 31 octobre 2014, tout comme celui du 3 janvier 1966, n’a pu et ne pouvait déboucher sur une révolution. Car comme nous l’avons appris durant notre vie militante : « Le passage du pouvoir d’une classe à une autre est le caractère premier, principal, fondamental d’une révolution, tant au sens strictement scientifique qu’au sens politique et pratique du mot ».
Si l’on vous suit bien, cela voudrait signifier que la révolution qui était en marche les 30 et 31 octobre était inachevée ?
La révolution a été confisquée. Elle a été étouffée dans l’œuf. Néanmoins, le mouvement populaire d’octobre constitue et constituera un riche enseignement pour le peuple burkinabè, tant il est vrai que le peuple s’instruit par sa propre expérience. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Les analyses s’arrêtent au fait que c’est la révision de l’article 37 qui a suscité ce soulèvement populaire. Or, le verre était plein par vingt-sept ans de gestion catastrophique. Il y avait le ras-le-bol. La tentative de révision n’a été que la goutte d’eau qui a fait déborder le verre. Il faut aller très loin pour situer les responsabilités de la dérive du régime de Blaise Compaoré…
Mais à défaut d’une orientation claire mûrement réfléchie, la Transition nage dans des contradictions insolubles. Elle fait découler sa Charte de la Constitution, tout en mettant entre parenthèse certaines dispositions de cette Constitution. Il aurait fallu, au nom de la légitimité populaire, de la légitimité révolutionnaire, suspendre carrément la Constitution et se conformer uniquement aux dispositions de sa Charte. C’est en cela que Soumane Touré a raison de dire que les organes de la Transition sont anticonstitutionnels.
La réponse qu’on aurait pu opposer à Soumane Touré, c’est que les dispositions de la Constitutions sont nulles et non avenues. La Transition est le résultat d’un coup d’Etat. Tout pouvoir, même la révolution, est un coup d’Etat quand elle s’effectue dans le non-respect de la Constitution. On ne devrait donc pas s’en offusquer. C’est le débat que nous avons eu avec les gens du Parti communiste révolutionnaire Voltaïque (P.C.R.V.), lors de l’avènement de la Révolution d’août. Parce que, disent-ils, le C.N.R. étant issu d’un coup d’Etat et ne peut être révolutionnaire. Nous leur avons rétorqué à l’époque que l’insurrection populaire de la Révolution en Russie en 1917, la guerre populaire prolongée de Mao-Tsé-Toung, la guerre de guérilla à Cuba, relèvent de la catégorie de « coups d’Etat révolutionnaires », mais coup d’Etat quand même.
Nous leurs avons dit qu’il faut distinguer la notion de « coup d’Etat » et celle de « putsch ». Car on parle de putsch lorsqu’une minorité de conspirateurs qui, à l’insu du peuple, se lève pour prendre par la force le pouvoir.
C’est ce fait que les autorités de la Transition se refusent d’assumer en s’empêtrant dans des contradictions insolubles. Dans le cadre de l’interview je ne peux m’étendre. Peut-être que si le besoin se fait sentir je consacrerai à cette question tout un article. Maintenant que j’ai décidé de parler…
Puisque vous l’avez abordée, parlons de l’interpellation de Soumane Touré par la gendarmerie nationale. Quel commentaire cela vous inspire ?
Je trouve cette interpellation arbitraire.Tous ceux qui connaissent Soumane Touré, savent que c’est un homme de conviction qui ne prend pas de détour pour dire ce qu’il pense. Ainsi il a eu maille à partir avec tous les régimes qui se sont succédé au Burkina Faso. On peut ne pas être toujours d’accord avec lui, mais c’est un homme qui a participé à toutes les luttes d’émancipation de notre peuple. Tous ses propos développés lors de sa conférence de presse tiennent à son attachement à la Constitution. Si on se bat sur le même terrain que lui, on ne peut pas avoir raison. Il dit qu’il ne reconnaît pas le régime de la Transition et ses organes, parce qu’issus d’un coup d’Etat. Et il s’appuie de ce fait sur l’article 43 de la Constitution.
Heureusement que sa détention a été brève, sinon on croirait que la Transition nous ramène à des périodes d’inquisition, où on ne peut s’exprimer librement.
Et qu’en est-il des autres interpellations notamment celle de Ablassé Ouédraogo, président de Le Faso Autrement ?
Je m’interdis tout commentaire, de peur qu’on ne me soupçonne de développer une susceptibilité de minorité nationale et un anti-islamisme anachronique. Il appartient aux Moose du centre de relever l’incongruité de tels propos, qui peuvent mettre en mal l’unité de notre Nation. J’ai beaucoup de sympathie pour Ablassé Ouédraogo et j’ai tout simplement été étonné qu’il puisse tenir de tels propos.
Parlons, si vous le voulez bien, du nouveau code électoral qualifié par certains de loi qui exclue …
Je suis contre toute injustice quel que soit l’auteur et quelle que soit la forme. C’est parce qu’on s’arrête à la révision de l’article 37, comme cause de la faillite du régime de Blaise Compaoré, que certaines personnes sont menacées d’exclusion pour avoir préconisé ou soutenu la tentative. Si on veut être juste, tous ceux qui ont contribué à la consolidation du régime de Blaise Compaoré devaient être concernés par la mesure. Où on étend la mesure à tous ceux-ci ou on abandonne purement et simplement les mesures d’exclusion. Dans un souci d’apaisement, dans le cadre de la réconciliation préconisée, je pense même qu’on devrait revoir cette loi afin de la rendre inclusive. Le peuple seul, le peuple du pays réel seul doit sanctionner par les urnes ceux qu’il ne veut plus voir le représenter ou le gouverner. Les députés du C.N.T. qui ont voté cette loi n’ont qu’à descendre dans l’arène pour expliquer à ce peuple qu’ils sont sensés représenter, le bon choix à faire. C’est cela la démocratie. Quand je vois aujourd’hui certains se renier et vouloir que l’histoire du Burkina Faso s’arrête en octobre 2014, je pense à ce que j’avais écrit : « Blaise Compaoré possède à ne pas en douter des « Amis », mais ils se comptent au nombre de ceux que la nécessité économique place réellement au service de ses coffres forts. Mais quand arrive les moments du danger et sans surprise on les verra se renier aussi naturellement qu’ils l’étaient à louer sans vergogne. Dans le film « Mobutu, le Roi de Zaïre », on a vu avec écœurement son ministre de l’information, qui était un des zélateurs (parmi ses laquais) des frasques de Mobutu, se transformer en accusateur public de celui qu’il adulait. On eût envie de vomir. J’avoue avoir éprouvé de la sympathie pour Mobutu en écoutant ce ministre [qui appartient à la race des vermines], témoigner contre lui. Hé Blaise ! Il faut faire attention à des slogans du genre : « Si on n’a pas de pétrole, on a Blaise Compaoré ». Ça, c’est pour blaguer tuer, comme dirait l’homme de la rue. Ce sont ces mêmes zélateurs qui seront parmi les premiers à te jeter la pierre, les jours de détresse. Ça n’arrive pas qu’aux autres ! » (« Le droit a été dit et bien dit » : article paru dans « L’Observateur Paalga n° 6503 du vendredi 21 au dimanche 23 octobre 2005, pp. 8-10).
Depuis quelques semaines, le dossier Sankara avance tant bien que mal. L’exhumation des restes de votre ami et compagnon de lutte est une réalité aujourd’hui. Faut-il croire à une justice pour Sankara ?
Lorsque la question de l’exhumation m’a été posée, il y a de cela trois ans, j’ai répondu que je doutais fort que le corps de Thomas Sankara soit enterré en ces lieux et qu’il va falloir qu’un jour on fasse un test d’A.D.N. pour vérifier réellement cette hypothèse. Aujourd’hui nous sommes dans l’attente des résultats de l’investigation. En ce qui concerne la justice, je reste très sceptique, parce que comme je l’ai dit, les hommes impliqués dans son assassinat sont encore puissants dans ce pays. Et le dossier est trop lourd pour la Transition dirigée par Michel Kafando. Nous connaissons toujours le régime de Blaise Compaoré, sans Blaise Compaoré.
Il y a environ un mois, on vous a vu investir Me Bénéwendé Sankara comme candidat unique des Sankaristes. Mais à peine un mois après, on a entendu la cloche de la discorde… Cela vous a-t-il surpris ?
J’ai cru qu’enfin nous allons parvenir à cette union tant recherchée. J’ai été associé à cette démarche en tant que « personne ress