Grand-Bassam (Côte d’Ivoire) – D’impressionnants bâtiments coloniaux, tantôt rénovés, souvent en ruine, donnent au « quartier France » un charme suranné : Grand-Bassam, incarnation de la présence coloniale française en Côte d’Ivoire, fête cette année son centenaire, les yeux tournés vers le futur.
Située à 35 km de la métropole abidjanaise, sur le golfe de Guinée, la ville fut d’abord un comptoir, puis une éphémère capitale à la fin du XIXe siècle, jusqu’à ce qu’une épidémie de fièvre jaune en 1899 décime les deux-tiers de ses quelques dizaines de colons.
Bingerville prit la relève en 1900, puis Abidjan en 1934 et enfin Yamoussoukro – lieu de naissance du « père de l’indépendance » ivoirienne Félix Houphouët-Boigny – devenue capitale en 1983. Mais Grand-Bassam est restée la première ville du pays à obtenir le statut
administratif de « commune », il y a tout juste un siècle, en 1915.
« La célébration de ce centenaire sonne pour nous comme la renaissance de la ville historique », se réjouit Amon Tanoé, le roi de Grand-Bassam, drapé dans un pagne multicolore, une longue chaîne en or autour du cou. La ville est en effet régie également par une chefferie coutumière qui accompagne les autorités administratives.
« Aujourd’hui nous avons de grands projets pour que Bassam redevienne un centre de développement important, comme au début de la construction de la Côte d’Ivoire moderne », révèle cet ancien diplomate à l’AFP. Seule commune ivoirienne inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco – depuis 2012 -, la vieille ville lézarde tranquillement au soleil en semaine et se mue en paisible cité balnéaire les samedis et les dimanches, offrant aux
citadins la plage en plus de l’Histoire.
– ’Monument historique’ –
Seuls des pans de murs tagués demeurent du premier palais de justice du pays, édifié en 1893, désormais enclos en vue d’un ravalement prochain. Un gigantesque manguier a pris possession d’une vaste bâtisse de trois étages (l’hôtel de France), dont le rez-de-chaussée nu, dépourvu de portes, abrite encore quelques petits commerçants.
« Il faut maintenir Bassam comme un monument historique », plaide l’écrivain Bernard Dadié, 99 ans, auteur de « Climbié », le premier roman ivoirien paru en 1956, dans lequel il raconte Bassam la « coloniale ».
Un monument à préserver, à l’instar de cette petite artère boisée et fleurie, aux bâtiments rénovés et d’une beauté saisissante, qui mène à l’ancien marché aux légumes, devenu centre de culture.
Dans le « quartier France », situé entre la mer et un bras de lagune, les rues portent encore les noms de colons fameux. Marcel Treich-Laplène, le premier administrateur de Bassam, et Gabriel Angoulvant, un gouverneur colonial, ont l’honneur d’un boulevard.
« On doit assumer le fait qu’on a été l’ancrage de l’histoire coloniale de notre pays », soutient le maire de la ville, Georges Philippe Ezaley.
A rebours de l’Afrique du Sud, où l’Université du Cap a retiré début avril de ses jardins la statue d’un colonisateur britannique, symbole d’oppression pour des étudiants qui l’avaient maculée d’excréments puis recouverte de sacs poubelles.
– High-tech et bio-tech –
Une exposition de 200 photos retraçant le centenaire de Grand-Bassam a été montée. Outre Treich-Laplène, le gouverneur Louis Gustave Binger et le vice-amiral Bouët-Willaumez figurent en bonne place. Ils ont donné, eux, leur nom à des quartiers d’Abidjan, Treichville, Bingerville et Port-Bouët. Mais si Grand-Bassam, dont les 80.000 habitants résident surtout hors du quartier ancien, est une vitrine du passé, la ville aujourd’hui rêve surtout d’incarner « l’avenir de la Côte d’Ivoire ».
Les bâtiments récents de l’International university of Grand-Bassam, une structure privée dont le nom se décline en anglais, surprennent le visiteur à l’entrée de la ville. Mais celle-ci compte aller beaucoup plus loin dans la modernité: Grand-Bassam doit bientôt accueillir le Village des technologies de l’information et de la biotechnologie (Vitib), l’unique zone franche de Côte d’Ivoire.
Ce sera « notre Silicon Valley, la vitrine technologique de l’Afrique de l’Ouest », s’enthousiasme le maire.
Ce qui ne manque pas d’inquiéter l’écrivain Bernard Dadié, ancien ministre de la Culture, pour qui « une urbanisation sauvage agresse la ville historique ». Au-delà d’un avenir qu’elle rêve brillant, Grand-Bassam s’est aussi vu promettre par les autorités la construction d’une digue, pour protéger son passé glorieux des ravages de l’érosion galopante qui grignote le littoral ivoirien.
« C’est à ce prix qu’on peut faire de Bassam la ville mémoire de la Côte d’Ivoire et la projeter dans l’avenir », renchérit son édile. Un pied dans les ruines, un autre dans les nouvelles technologies.
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