La question, en vérité n’est pas « le MPP peut-il réussir ? » mais « pourquoi le MPP est condamné à réussir ». Si la question se pose de cette nouvelle manière, c’est parce que l’insurrection qui a eu raison du pouvoir de Blaise Compaoré enjoint nécessairement une nouvelle gouvernance et donc, une autre façon de faire la politique. Si par extraordinaire le MPP était tenté de s’y déroger, la rue et l’opposition (avec en premier chef, l’UPC) dont la crédibilité est avérée, la lui imposeraient en toute légitimité et non sans opportunisme.
On peut se consoler du simple fait que l’avenir du Burkina Faso n’est plus aussi inquiétant que quand le CDP était au pouvoir ou quand le RSP avait survécu à l’insurrection. Il s’agit somme toute d’un truisme s’étayant de divers arguments qui, au fond, condamnent le MPP à réussir.
Parmi ces arguments, l’argumentaire ou l’argutie (c’est selon les accointances) le plus évoqué demeure la référence au passé plus ou moins éloigné des figures dominantes du mouvement. Ce passé chargé de collusions avec le clan des damnés (les Compaoré et leurs affidés) serait, pour beaucoup d’observateurs et/ou de contempteurs, le péché originel programmé dans les gènes du mouvement et qui l’éloignerait des intérêts du peuple. Tout au moins dans la démarche, cet argument est aussi massu que légitime.
En effet, quand on conduit une voiture, de temps en temps et par prudence, on jette un coup d’œil dans le rétroviseur mais on ne peut avoir le regard braqué uniquement sur le rétroviseur. Légitime précaution certes, mais jeter l’anathème sur le MPP et ses premiers responsables frise l’impertinence.
D’entrée, il faut le dire tout net, il ne s’agit ni de dédouaner qui que ce soit (ceux de ce parti à qui l’on reproche des choses devront répondre devant la justice ou à tout le moins, avoir la décence de se livrer à un examen de conscience) ni de caresser qui que ce soit dans le sens du poil, mais de procéder à l’examen de ce qui condamne ce parti à réussir car il n’y a pas d’autres alternatives pour lui, à moins de vouloir que l’histoire se répète (même si les conditions ne sont plus les mêmes), ce que personne ne souhaite évidemment car nous ne voulons plus de nouveaux martyrs, mais seulement rendre hommage, à l’avenir, uniquement à ceux qui sont tombés pendant l’insurrection et l’inqualifiable coup d’état.
Au titre de ce que l’on entend couramment et qu’on lit régulièrement dans la presse : le MPP est un CDP bis, ils ont composé avec le système Compaoré, ils ont contribué à la longévité du système, etc. A ces propos font écho ceux du 1er vice président du MPP qui reconnaît qu’ils ont été à la même table que le diable mais ne sont pas le diable.
En décryptant ce propos, on peut dire que les responsables du MPP ne souhaitent pas que l’histoire retienne d’eux les images qui collent et colleront toujours au système Compaoré à savoir : la violence politique, le népotisme, la corruption, la démagogie, la dépravation des mœurs.
Le trio RSS a acquis une étoffe politique, une envergure politique en raison peut être de leur talent politique, de leur qualité individuelle, de leur valeur intrinsèque mais plus sûrement à cause de ce que représentait Blaise Compaoré (rappelons qu’il est entré dans l’histoire de ce pays par une sanglante et sans précédente effraction et c’est sous son long règne que la violence en politique a atteint son paroxysme) et la peur qu’inspirait le RSP. Il convient de relever que bien des personnes ont, en dépit de ce contexte de terreur, opposé une farouche résistance au système depuis son avènement. Mais l’épouvantail s’est dissipé avant et pendant l’insurrection, et ensuite par le saut dans l’inconnu des généraux qui leur vaut de croupir dans les geôles de la MACA.
La forte adhésion de la population au MPP après sa création est plus imputable au rejet du système Compaoré dont la face hideuse que représentait son frère constituait un véritable repoussoir, qu’au charisme des fondateurs du parti.
L’histoire est impitoyable : grandeur et décadence sont le lot de ceux qui veulent ruser avec elle et n’en perçoivent pas l’irréversible trajectoire.
Après la chute du système Compaoré que reste-t-il au trio RSS sinon l’énorme boulet à leur pied de leur participation au système qui a conduit à la formule, « être à la même table que le diable sans être le diable ? ». Pour se débarrasser du boulet et laisser une image positive dans l’histoire de ce pays, un comportement nouveau s’impose, de nouvelles pratiques doivent avoir droit de cité. L’ère Compaoré est à jamais révolue, elle appartient irrémédiablement au passé. Il faut se départir des pratiques devenues réflexes de l’ère Compaoré.
Il en va de la science comme de l’histoire : quand il y a changement d’époque, changement de paradigme pour reprendre une formule consacrée, on ne fait retour à rien. Les éléments de l’ancien système, les anciennes pratiques sont caducs, obsolètes. Ne pas le comprendre, c’est faire fausse route. C’est d’ailleurs ce dont est expressive cette désormais célèbre formule « plus rien ne sera comme avant ».
Sont donc révolus les temps des juges acquis ou des diplômés acquis que l’on responsabilisait en fonction non pas de leurs compétences, mais de leur performance dans une posture non humaine, la reptation.
Depuis les élections jusqu’à maintenant, des signes d’une dérive sont aisément repérables et il convient d’attirer l’attention.
Comment se fait-il que quelqu’un aux compétences avérées et qui lui ont valu d’être présenté à un meeting comme le futur ministre de l’agriculture n’ait pas été responsabilisé et qu’aucune explication publique (puisque l’annonce a été faite à un meeting) ne soit donnée ? Est-ce le retour d’anciennes pratiques, le non-respect de la parole donnée, ce qui serait vraiment désolant, navrant dans un contexte de véritable soif de rupture.
Par ailleurs comment comprendre que l’on responsabilise au sommet de l’Etat une personnalité dont la gestion de la commune fut décriée et sanctionnée dans un passé très récent ? Un minimum de justification s’impose, sinon serait- ce le retour de la république des copains et des coquins ?
Le MPP a une obligation de réussite ; malheureusement il ne semble pas en emprunter le chemin. Puissions-nous avoir tort. L’insurrection a consacré la grandeur des petites gens à travers le printemps des héros anonymes et discrets. Il revient au MPP de ne pas nous servir l’exécrable spectacle de la petitesse des grandes gens. Pour cela, il faut que les âmes qui professent leur bonté évitent la descente dans la boue en cocufiant un peuple qui ne demande qu’à être servi avec égard et loyauté. Il faut éviter que nos hommes forts, à force de défier les institutions, se transmuent en discrets néo-ivoiriens quand viendra l’heure de mériter un repos de sage.
Il faut donc réussir parce que le peuple a des aspirations mais il faut surtout éviter d’échouer parce que notre tranquillité et votre grandeur en dépendent.
Pr Pierre G. Nakoulima professeur titulaire, université Ouaga 1 Pr Joseph Ki Zerbo
Dr Alkassoum Maïga, maître de conférences, université Ouaga 1 Pr Joseph Ki Zerbo
Dr Olivier Zemba, assistant université de Koudougou.