‘@Informateur.info- 1er décembre 2019 : acteurs et partenaires de la lutte contre l’infection à VIH-Sida se préparent à commémorer une autre journée. Une de plus, devrait-on entendre dire. Quoi qu’il en soit, moment de célébration des acquis, la Journée internationale de la lutte contre le Sida, comme les commémorations à l’échelle mondiale, se veut le moment privilégié de jeter un regard rétrospectif sur les acquis et défis du dispositif de veille, de prévention et de prise en charge des personnes infectées. Le bilan de l’année écoulée est dès lors dans tous les esprits. 1er décembre 2018-1er décembre 2019 : qu’est ce qui a été fait en termes de lutte contre la pandémie du siècle pour quel (s) résultat (s) ?
- Des résultats encourageants
Voici venue donc l’heure du bilan par pays. La Côte d’Ivoire n’échappe pas à cette réalité. A quelques heures des festivités, la moisson s’annonce satisfaisante. En effet, sur deux grands axes de la lutte, à savoir la réduction des nouvelles infections et celle du taux de mortalité des Personnes vivant avec le Vih (Pvvih), la Côte d’Ivoire fait un grand bond. En effet, les données sur les populations (estimations spectrum 2019) laissent transparaître une baisse considérable au niveau du nombre de décès liés au Sida et de celui des nouvelles infections. Sur le premier axe, le nombre de décès est passé de 36.717 en 2009 à 15.756 en 2019. Soit une baisse de plus de 50% en 10 ans de lutte. Le nombre de nouvelles infections est passé lui de 30.553 en 2009 à 18.579 en 2018-2019. Soit un recul du nombre de nouveaux cas de Vih de plus de 40% en 10 ans. « Les estimations issues de la dernière enquête nationale ‘’Evaluation de l’impact du VIH dans la population générale en Côte d’Ivoire’’ donnent la situation suivante : prévalence nationale chez les 15-49 ans de 2,5 soit 1,4% chez les hommes et 3,6% chez les femmes contre 4,7% en 2005 et 3,7% en 2012 », relevait, lors Dr Hélène Memain, chef de service Soins et Soutien au Programme national de lutte contre le Sida, lors d’un entretien à Jacqueville où sa structure ouvrait un village communautaire dédié à la lutte contre l’épidémie de type mixte.
- Inquiétudes chez les populations-clé
Si le Pnls peut se frotter les mains avec le fort recul des nouvelles infections et du nombre de décès, la partie est loin d’être gagnée. Bien d’obstacles troublent encore le sommeil du Dr Memain et les autres acteurs de la lutte que nous trouvons, vendredi 29 novembre 2019, au four et au moulin à Jacqueville. Localité balnéaire de la région des Grands Ponts. Retenue cette année pour abriter l’édition 2019 de la journée internationale pour contrer ‘’le mal du siècle’’. Abordant le point des populations dites clé, l’inquiétude se dessine sur le visage de celle qui pilote les préparatifs des festivités de la célébration de la journée dans la commune du maire Joachin Beugré. «Pour les populations-clé, la prévalence du VIH est bien au-dessus de celle de la population générale», alerte-t-elle. Puis de dévoiler les chiffres qui commandent la vigilance. A savoir, 11,4% de prévalence chez les Travailleuses et.ou travailleurs du sexe (TS) ; 11,5% chez les Hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) ; 9,5% chez les Usagers de drogue (UD) et 7,9% chez les populations carcérales (PC). « Les objectifs d’ici 2020 du Plan stratégique de lutte contre le Sida 2016-2020 sont de réduire de 50% les nouvelles infections à Vih ; de 75% la mortalité chez les Pvvih. Cela commande le contrôle accru au niveau des populations-clés. Les indications à ce niveau peuvent compromettre les acquis sur les terrain », se préoccupe Dr Memain. Derrière cette préoccupation, se dévoile un défi important à relever. Il s’agit de la réduction de la stigmatisation et de la discrimination à l’endroit surtout des Pvvih. « Les Pvvih issues des populations-clés sont victimes de stigmatisation et de discrimination. Cela empêche plusieurs d’entre nous de se rendre dans les centres de dépistage et de prise en charge. Nous discriminer pour notre orientation sexuelle, c’est accroître le risque de nouvelles infections», confie N.D, un des responsables de stand d’une organisation de LGBT.
- Défis à surmonter
Dr Hélène Memain
Comment changer le regard, l’opinion sur les LGBT pour leur contraindre à cacher leur statut, réduisant ainsi leur accessibilité aux soins et faisant accroître le risque de nouvelles infections et fragilisant leur santé ? Voici une équation à résoudre par les acteurs et partenaires de la lutte en Côte d’Ivoire. Le second gros défi concerne les perdus de vue. Il s’agit là, de Pvvih qui arrêtent leur traitement pour plusieurs raisons. L’hôpital général de la ville connait cette triste réalité. Dans ce centre de santé, où 360 Pvvih sont dans la file active, en octobre 2019, 28 pointaient absents. Plusieurs raisons sont évoquées par le personnel soignant. « Ce qui nous dérange le plus, c’est la retraite spirituelle. Les pasteurs nous luttent nos malades. On leur dit que leur maladie est spirituelle et que seul Dieu peut les délivrer. Les Pvvih se laisse appâter par ce discours de fausses croyances. Et vont s’installer des mois durant dans les camps de prière sans poursuivre leur traitement », se désole un agent de soins. « Quand ils nous reviennent, c’est dans un état grabataire où on ne peut plus rien faire. Vraiment, on a moins de problèmes avec les imams et les prêtres. Mais, les pasteurs des nouvelles églises surtout évangéliques, leur discours nous écœure. Il faut que cà cesse», s’emporte un encadreur des centres de suivi communautaires, qui ouvertement, accuse une prophétesse du village de Djemm de livrer une « concurrence déloyale » à l’hôpital. « Elle nous a pris beaucoup de malades », regrette notre interlocuteur. Sur le chemin du retour, nous marquons l’arrêt dans ce camp de prière du village à l’entrée du pont de Jacqueville. « La maman-pasteur, elle est là. Elle est forte hein. Elle guérit les malades du Sida », nous souffle une vendeuse de fruit en bordure de voie qui nous sert de guide pour retrouver le lieu de culte reconverti en case sanitaire.
- Dieu à la place des ARV
Retranché du village, le camp bâti sur plus d’1 hectare, a encore des patients, à notre arrivée. Nous en trouvons dans le temple, couchés à même le sol. Une fidèle est à fonds dans le délire. « Capote, c’est quoi ! Ce n’est rien. Sida, c’est sorcellerie. Tous les sorciers, je vous vois. Je vais vous attraper, vous frapper ? vous allez voir», s’écrie-t-elle. Au moment où nous tentons de nous approcher d’elle pour savoir depuis quand elle vit dans ce centre et les raisons de sa présence, ce qui nous permettrait d’être fixé sur sa sérologie, la maitresse des lieux, prophétesse Kouassi, une septuagénaire, se présente à nous. « Les malades que vous cherchez là, dont on vous a parlé en ville, ils sont là. Dieu les soigne et les guérit. Je ne veux pas vous parler moi-même des grâces de Dieu. Ce sont les malades qui le feront. Ils vont faire le témoignage et vous allez être situés. J’organiserai un grand programme. Je vais vous inviter et vous verrez la puissance de Dieu. Je ne dirai pas plus aujourd’hui», tranche-t-elle. « Les camps de prière sont fréquemment relevés comme raison principale du problème récurrent des perdus de vue. Ce problème fait que nous sommes aujourd’hui à un taux de rétention de 84%. Or, nos objectifs, c’est relever le défi des 3-90. Nous sommes dans un continium de soins. Il faut que les communautés s’impliquent pour qu’ensemble, on gagne le pari des 90% de Pvvih qui ont les soins, de 90 % de réduction de mortalité dû au Vih-Sida et de 90% de réduction de la contamination mère-infection donc de réduction de nouvelles infections. Nos efforts donnent des résultats encourageants, satisfaisants. Mais, il ne faut pas baisser la garde », interpelle Dr Memain. Un appel, qui, espérons-le, ne doit pas tomber dans des oreilles de sourds afin ne pas briser l’aile à la colombe d’espoirs avec les résultats significatifs. Fruit des efforts déployés sur le terrain.
Dalima DAHOUE