@Informateur- Dans un paysage urbain qui se transforme en se modernisant, les moyens de transport de marchandises de proximité ont changé. Les traditionnels « pousse-pousse » communément appelés « Wottros  » naguère utilisés pour transporter les marchandises et autres produits des commerçants et vendeurs d’un point à l’autre dans les villes, ont progressivement disparu, surtout à Abidjan et dans les grandes agglomérations urbaines. Ils ont fait place progressivement aux brouettes puis aujourd’hui aux tricycles qui les ont évincés. Un retour dans le passé nous a permis de confirmer notre constat sur le terrain
Dans les marchés et partout dans la circulation dans les villes ivoiriennes, particulièrement à Abidjan la capitale économique et dans les grandes agglomérations du pays, les tricycles font la pluie et le beau temps en ce qui concerne les moyens de transport de marchandises de proximité. Ils sont même utilisés pour des distances plus ou moins longues dans les communes, pour des quantités de marchandises plus importantes.
- Les « Wottros » et les « bêllas », naguère incontournables
A côté de ces trois roues, il y a les brouettes qui font les petits parcours à l’intérieur des quartiers. C’est le constat que nous faisons ce vendredi 13 septembre 2024, en faisant le tour de quelques marchés dans la commune de Yopougon, non sans nous replonger dans nos souvenirs par un retour dans le passé. Dans un paysage urbain qui se transforme en se modernisant, les tricycles, ces moyens de transport de marchandises de proximité ont remplacé les traditionnels pousse-pousse dits « Wottros » à l’époque. Les  »Wottros » étaient des sortes de charrettes en bois montées sur un essieux transversal et deux roues. Au départ, ils étaient poussés par des portefaix communément appelés  »bêllas » ou encore « baragnini », (en langue maliké : hommes de petits boulots), la plupart des ressortissants étrangers en Côte d’Ivoire. A une époque où les taxis et autres véhicules de transport de marchandises de proximité étaient un luxe pour les petits commerçants et vendeuses dans les marchés, les  » Wottros  » constituaient le moyen de transport le plus disponible et le plus accessible pour ceux-ci. Autrefois, on voyait partout ces  »bêllas », parfois torse nu et souvent étrangement bardés d’amulettes pour renforcer un certain mythe de leurs pouvoirs mystiques censés faire la preuve de leur force physique exceptionnelle, voire de leur invincibilité. Un mythe qui s’ajoutait au folklore du paysage. Dans les marchés, aux abords des commerces et autres lieux de sortie et d’échanges de marchandises, les « bêllas » étaient présents et régulièrement sollicités. Ils étaient en fait incontournables. Le règne des Wottros et des « bêllas » a duré. Pour décroître progressivement au fil de l’urbanisation.
- Le déclin progressif des « Wottros »
En effet avec l’urbanisation galopante et anarchique marquée à partir de la fin des années 1990 et du début des années 2000 par une occupation parfois sauvage de l’espace urbain jusqu’aux trottoirs et l’encombrement de la voie publique, les  »Wottros » ont commencé à poser problème au niveau de la fluidité de la circulation. Ils étaient devenus encombrants. Par leur nombre croissant, ils entravaient et perturbaient de plus en plus la circulation. Qui plus est, avec le développement et l’extension des municipalités et des services municipaux, ils ont été soumis à autorisation d’exercer et à taxation. Ce qui, progressivement, a ouvert la voie au racket des services municipaux et policier au préjudice de ces acteurs le plus souvent analphabètes qui exerçaient avec des outils archaïques.
En outre, à Abidjan par exemple, les taxis communaux dits  »wôrô-wôro » ont fait leur apparition et proposaient à moindre coût, contrairement aux taxis-compteurs, de transporter les commerçant et leurs marchandises sur de plus longues distances. C’était un double avantage avec un moyen moderne de transport.
C’est ainsi que, pris entre, d’une part le manteau de la modernisation et des règles de la fluidité routière et d’autre part l’enclume du racket et de la concurrence des wôrô-wôro notamment, qui ont créé des lignes et des gares partout autour des marchés et lieux de commerce, les  » bêllas  » et leurs  » Wottros  », incapables de sortir de leur archaïsme pour se réinventer et s’adapter, ont perdu du terrain et se sont repliés progressivement dans les zones périphériques pour s’éteindre avec le temps, ciblés par des mesures de restriction puis d’interdiction. S’ils ont survécu plus longtemps à l’intérieur du pays, aujourd’hui ils ont presque totalement disparu. Les  »bêllas » et leurs  »Wottros » que les générations naissantes n’ont pas connus font aujourd’hui partie du passé et n’existent plus que dans les souvenirs des générations qui ont été témoins de leur existence.
- L’avènement des brouettes dans les marchés et sur le trottoir
A un moment donné, face à la pénurie d’eau, elles ont joué un rôle crucial dans le transport des bidons d’eau pour les populations riveraines, depuis les points où l’on pouvait s’alimenter en eau jusqu’aux habitations. Difficile à recenser et à organiser ou à soumettre à des taxes vu leur taille modeste et le niveau des acteurs qui les utilisent, elles prennent certes aussi une part active dans le désordre sur le trottoir et l’encombrement de la voie publique avec leur nombre qui a explosé, mais sont plus faciles à canaliser. Malgré le temps et le changement du décor urbain, les petits pousseurs de brouettes ont survécu dans les marchés et devant les commerces. Aujourd’hui encore, les commerçants et clients sollicitent leurs services, malgré l’arrivée sur le terrain des tricycles qui ont tout changé en marquant la modernisation du transport de marchandises de proximité.
- Comment les tricycles ont conquis le secteur du transport de marchandises de proximité et au-delÃ
Les tricycles, véhicules motorisés à trois roues, sont d’apparition plus récente. En Côte d’Ivoire, c’est en fait un héritage de la crise polico-armés qui a secoué le pays pendant une décennie, à partir des évènements du 19 septembre 2002 qui ont débouché sur la rébellion. Les tricycles, autrefois inconnus en Côte d’Ivoire et tardivement à Abidjan et dans la moitié Sud du pays, ont d’abord fait leur apparition, comme les taxis-motos, dans la moitié Centre-Nord- Ouest dite zone CNO du temps de la rébellion. Venus des pays limitrophes tels La Guinée, le Liberia, le Mali et le Burkina Faso, les tricycles, dans un contexte de crise, ont accompagné l’économie de guerre qui s’était mise en place dans cette zone, en constituant une alternative pratique et efficace aux véhicules de transport de personnes et de marchandises face à la partition du pays. Ce n’est qu’après la crise postélectorale, à la suite de la réunification et de la normalisation du pays, que ces engins à trois roues ont colonisé, et très rapidement, l’ensemble du territoire national, jusqu’à la capitale économique, Abidjan où ils ont prospéré en un temps record car ils présentent un avantage certain.
Ces engins motorisés vont bien plus vite que leurs ancêtres les « Wottros  » ou les simples brouettes et transportent des quantités de marchandises plus importantes, pour lesquelles par le passé les petits commerçants devaient louer des camionnettes à prix d’or. Devenant ainsi un allié précieux pour les commerçants, tout aussi bien pour la petite proximité que les longues distances en agglomération. Confortés dans ce statut flatteur, c’est avec beaucoup d’audace que même à Abidjan, les tricycles, qui ont connu un boom fulgurant, ont entrepris très vite de sortir des quartiers pour faire du transport intercommunal de marchandises, envahissant les plus grandes artères de la ville. Mais, hélas, les tricycles dont le nombre s’est démultiplié, ont été rattrapés par les péchés du transport routier : désordre, occupation anarchique du trottoir, encombrement de la voie publique avec surtout à la clé un incivisme notoire sur les artères principales d’Abidjan, provoquant de nombreux accidents mortels. Face à cette situation, les autorités ont dû prendre à l’encontre des conducteurs de tricycles des mesures d’interdiction de circuler sur certains types de voies publiques et des restrictions pour limiter leur champ d’action et par-là leurs nuisances. Ce qui a eu pour conséquence une nette amélioration de la situation, même si des contrevenants résistent toujours aux règles.
Pour autant, cela n’a pas freiné l’essor des tricycles qui se sont imposés comme le moyen le plus efficace de transport de marchandises de proximité. Aujourd’hui , il suffit de sortir dans la rue pour les voir. Le District autonome d’Abidjan a récemment pris une mesure d’interdiction des pousse-pousse, mais dans la mémoire des témoins de l’époque, le souvenir de l’ancêtre du tricycle, le « Wottro  » poussé par le « bêlla  », vit encore.
KKM/informateur.ci