Rentrée scolaire : Quand la cherté de la vie asphyxie les parents d’élèves

Image d'archives à titre illustratif

@informateur- L’année scolaire 2024-2025 est là après le répit des vacances. Dans un contexte de cherté croissante de la vie, entre le coût élevé des fournitures scolaires et les frais d’inscription et de scolarité qui asphyxient les parents d’élèves, les Ivoiriens perdent le sommeil à la rentrée des classes. Nous avons visité quelques librairies et échangé avec des parents d’élèves. Voici notre constat.

Le vendredi 6 septembre 2024, à 10 h, à Adjamé. Dans l’alignement du stationnement des gbaka qui prennent leur départ pour Abobo non loin de la pharmacie des 220 Logements, une  » librairie par terre  » voit défiler timidement quelques clients indécis. Nous nous approchons pour demander les prix des manuels scolaires. Nous constatons une hausse par rapport à l’année dernière. Nous faisons la remarque au vendeur qui nous répond que les fournisseurs ont augmenté leur facture. Un parent d’élève, se joint à la conversation. Il est venu d’Affery pour acheter les premiers cahiers de ses deux enfants inscrits au primaire. Il nous explique que cette année, il ne sait pas  » comment boucler les dépenses de la rentrée  » car  » tout a augmenté  ». Les revenus tirés de sa modeste plantation de cacao ne suffiront pas, nous explique-t-il, pour scolariser ses enfants et ses deux neveux qui sont à sa charge depuis le décès de leur père. Il y a trois années, il a dû mettre sa plantation  » en garantie  » , c’est-à-dire céder l’exploitation à quelqu’un d’autre sur une période convenue, contre 500.000 F, pour faire face à la rentrée scolaire. Il ne veut plus revivre cette douloureuse expérience.

Le vendeur lui remet son lot de cahiers et il quitte les lieux en nous adressant un dernier salut. Nous lui emboîtons le pas et franchissons le rond-point de Liberté en direction de Fraternité Matin. Nous entrons dans une boutique-librairie qui propose à la fois des articles divers et des manuels scolaires. Là-bas, les parents d’élèves qui entrent ne font que contempler les livres et cahiers. Ce qui agace visiblement le vendeur. Même constat, les prix ont augmenté. Un parent d’élève ne manque pas de relever cela. Nous partageons sa préoccupation. Il est inquiet vu le coût croisant de la vie.

Car cette année, nous dit-il, il n’est pas sûr de pouvoir compter sur le prêt scolaire qu’il a sollicité comme à l’accoutumée. La direction de l’entreprise a fait savoir au personnel qu’en raison des difficultés traversées par la société les prêts scolaires pourraient baisser de moitié, voire ne pas être disponibles.  » Avant, je pouvais demander jusqu’à 300.000 FCFA de prêt scolaire et on me l’accordait. Mais ces dernières années, depuis le déclenchement du COVID 19, la direction m’octroie à peine 100. 000 F. Si on me donne la moitié, je ne pourrais rien faire avec ça cette année », soupire-il. Il évoque une implacable réalité.

Les prêts scolaires qui servaient autrefois de bouées de sauvetage aux parents d’élèves salariés ont rétréci comme peau de chagrin. De nombreuses entreprises en Côte d’Ivoire, en raison des charges et du contexte économique difficile, ne sont plus en mesure d’en octroyer à leur personnel. Un autre client dans la boutique. Son attention est attirée par notre conversation. Il hoche la tête et nous explique qu’il est venu juste pour avoir une idée des prix, mais qu’il ne peut se risquer à acheter des manuels scolaires pour ses enfants avant d’avoir reçu et fait confirmer auprès de la direction de l’école la liste des fournitures scolaires pour l’année 2024-2025.

Il n’a pas tort. Nostalgique , il nous dit qu’elle est bien loin l’époque où les livres, d’une classe à une autre, pouvait servir à tous les enfants de la famille.  » Le petit frère utilisait l’année qui suit les livres de son aîné, ainsi de suite, sur plusieurs années, avant que les livres au programme ne changent. Ce qui permettait aux parents de respirer car îls n’avaient qu’à acheter les cahiers  », se souvient-il. De nos jours, chaque année qui passe a ses livres et cahiers qui  » sont imposés par les enseignants et les responsables d’établissement scolaires avec la complicité de certaines grandes librairies  », se plaint-il.

Effectivement, depuis quelques années chaque rentrée scolaire voit apparaître de nouveaux livres dans une multiplicité d’éditions et de collections. Nous ne les citerons pas. Chaque établissement scolaire choisit pour chaque niveau et chaque classe les livres de telle ou telle édition, telle ou telle collection, sur des bases que le public ignore. Qui plus est, nous met en garde notre interlocuteur avec qui nous quittons les lieux, il n’est pas conseillé de se précipiter sur les premières listes de fournitures, car les livres peuvent changer sur une seconde liste dressée en dernier ressort.

Certains parents qui ont eu, dit-il, le malheur d’honorer les premières listes ont dû se saigner pour en acheter d’autres sur une seconde liste. Il y a aussi la politique des livres- cahiers dit cahiers d’habileté dans lesquels souvent les élèves sont amenés à écrire pour des exercices. Ce qui les rend non réutilisables. Nous ne mettons pas en cause les choix, les méthodes et les outils pédagogiques des autorités en charge de l’Education nationale. Nous ne faisons qu’évoquer l’aspect financier des choses dans un contexte de cherté de la vie.

Avant de nous dire au revoir, le parent d’élève nous fait remarquer que même en ce qui concerne les cahiers, des écoles imposent certaines marques, parfois des cahiers importés qui coûtent souvent jusqu’à trois fois plus cher que ceux fabriqués sur place.

Vers midi nous quittons Adjamé Liberté pour Yopougon où nous descendons au quartier Maroc. Nous identifions une librairie et y entrons. Comme ailleurs, les effets scolaires attendent les clients qui ne se bousculent pas encore. Nous faisons le tour des rayons et remarquons une marque de cahiers qui, pour le même nombre de pages coûte 3000 F CFA l’unité, alors que les cahiers du lot à côté coûtent 700 F CFA l’unité. Plus du triple. Nous finissons par nous présenter au gérant de la librairie et nous lui faisons la remarque, en lui demandant si des librairies passent des accords avec des établissements scolaires pour promouvoir la commercialisation de certaines marques de cahiers. Il regarde autour de lui et nous entraîne dans un coin de la librairie. II affirme que sa librairie n’a jamais passé un quelconque accord avec une école pour s’associer à un  » business de vente de cahiers  ». Puis il prend deux cahiers de marques différentes faisant le même nombre de pages et nous amène à les toucher pour évaluer la qualité de chacun. Effectivement la différence saute aux yeux du point de la consistance.

Ensuite, il nous explique :  » Nous ne faisons que servir les manuels scolaires qui figurent sur les listes que les parents et élèves nous présentent et rien d’autre. C’est le cas des livres au programme. Ce que nous savons en revanche, c’est que certains enseignants et responsables d’établissements, par expérience, proposent des cahiers de bonne qualité, car au primaire par exemple les cahiers des enfants se déchirent facilement quand ils ne sont pas de bonne qualité et les parents doivent encore payer souvent deux ou trois fois pour les remplacer au cours d’une même année scolaire, ce qui revient plus cher, alors que les élèves doivent recopier les contenus des cahiers déchirés, ce qui peut perturber leur apprentissage…  ».

Nous n’avons pas fini d’échanger qu’il doit prendre congé de nous pour s’occuper d’un parent d’élève qui fait son entrée dans la librairie. Nous nous retirons en lui promettant de revenir faire nos achats chez lui. Il nous fait un dernier geste de la main en espérant nous revoir bientôt, cette fois en tant que client.

Cette journée nous a replongé pour quelques heures dans la dure réalité des parents d’élèves à la rentrée scolaire. Entre les frais d’inscription et de scolarité parfois hors de portée pour les familles les plus démunies, et le coût élevé des fournitures scolaires, les Ivoiriens perdent le sommeil à la rentrée des classes.

KKM/informateur.ci

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