@informateur- Officiellement convoquée, le lundi 22 août 2022, à la Préfecture de police d’Abidjan pour récupérer son passeport, Pulchérie Gbalet, présidente de la faîtière de la société civile, Alternative citoyenne ivoirienne (Aci) a été arrêtée et placée, mardi, sous mandat de dépôt à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), après un passage à la Cellule spéciale d’enquête et d’instruction (Csei)

C’est peu dire d’affirmer que Pulchérie Gbalet a connu des heures fort mouvementées, ces deux derniers jours. En effet, suite à une convocation le lundi 22 août 2022 à la Préfecture de police pour récupérer son passeport, la militante des Droits de l’homme a plutôt été gardée à vue jusqu’au mardi 23 août 2022. En lieu et place du passeport.

Au cours de cette garde à vue, Pulchérie Gbalet a été soumise à une audition de police judiciaire, au terme de laquelle, il lui a été notifié les charges de « Entente avec les agents d’une puissance étrangère de nature à nuire à la situation diplomatique de la Côte d’Ivoire, diffusion de fausses nouvelles de nature à attenter au moral des populations, atteinte à l’ordre public », relativement à l’affaire des quarante-neuf (49) militaires ivoiriens arrêtés au Mali, pour laquelle Pulchérie Gbalet avait proposé sa méditation et avait même reçu, la semaine dernière, certains parents desdits militaires pour échanges.

Et alors qu’elle avait maille à partir avec les enquêteurs, la résidence de Pulchérie Gbalet sise à la Riviéra II a été littéralement perquisitionnée, fouillée de fond en comble par des agents de police sans mandat de perquisition.

« Des policiers encagoulés et armés de kalach ont fait irruption à notre résidence. Ils nous ont demandé si c’était la résidence de Pulchérie Gbalet. Nous avons répondu par l’affirmative. Ils nous ont signifié qu’ils étaient venus pour une perquisition. Nous leur avons demandé s’ils détenaient un mandat de perquisition. Ils ont répondu par la négative. Il nous ont ensuite tous regroupés au salon et ont commencé par passer au peigne fin toutes les pièces de la maison. Ils nous tous photographiés avec leurs téléphones portables. Ils ont pris nos noms, pris des renseignements sur nos activités, y compris pour les enfants de 3 à 4 ans qui sont avec nous. Après plus d’une heure de fouille, ils sont répartis avec 5 téléphones portables, un ordinateur portable appartenant à un cousin de Pulchérie Gbalet. Après leur forfait, ils sont répartis et leur chef a laissé des instructions à ses agents de mettre la résidence sous surveillance. Y compris tous nos mouvements », confiera, plus tard, à la presse, un membre de la famille présent à cette opération.

De leur côté, les avocats de la présidente de l’Aci dénoncent « une violation flagrante des droits » de Pulchérie Gbalet. « Notre cliente a été piégée », pestent-ils, indignés. « Eu égard à la manière cavalière avec laquelle elle a été arrêtée, nous, on a décidé de ne même pas l’assister parce que ce n’est pas de cette manière-là qu’on procède à l’arrestation de quelqu’un. On ne joue pas à la ruse », a dénoncé Maître Saki qui entend saisir de nombreuses organisations de protection des droits de l’homme.

  • Pulchérie Gbalet et les interpellations repétées

Pour rappel, libérée après une première interpellation à son retour du Mali, Pulchérie Gbalet avait réagi, déclarant ne rien se reprocher. L’activiste de la société civile avait été interpellée à l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, le mercredi 3 août 2022 avant d’être libérée dans l’après-midi du jeudi 4 août 2022. Elle avait été gardée à vue dans les locaux de la police. « Je ne me reproche rien, on veut juste m’intimider », avait ironisé Pulchérie Gbalet alors qu’elle rentrait du Mali où elle avait séjourné à l’invitation de la société civile malienne.

Bien avant, faisant suite à la déclaration du président Alassane Ouattara du 6 août 2020 annonçant sa candidature à la présidentielle du 31 octobre 2020, Pulchérie Gbalet avait appelé lors d’une conférence de presse, le lundi 10 août 2020, à des manifestations contre un troisième mandat du Président Alassane Ouattara. Cinq jours plus tard, elle a été arrêtée en compagnie de deux (2) de ses collaborateurs par des hommes encagoulés avant d’écrouée à la Maca, le 21 août 2020. Formellement inculpée pour « destruction volontaire de biens publics, convocation à un attroupement, participation à un mouvement insurrectionnel et atteinte à l’ordre public ». Elle a été libérée sous condition le 28 avril 2021.

  • Son combat

Aujourd’hui, Pulchérie Gbalet est sur toutes les lèvres. Des Ong et ses avocats demandent sa libération. Ni féministe, ni misogyne, foncièrement engagée pour la cause des Droits humains, Pulchérie Gbalet, la quarantaine juste entamée, fait depuis son chemin dans ce milieu impitoyable où on flirte avec la prison.

Elle débute sa carrière de militante des Droits de l’homme peu après la crise postélectorale en 2011. Son credo, la lutte contre les injustices sociales, la réconciliation nationale et surtout la formation. Convaincue que c’est par la formation que les citoyens prennent conscience et s’engagent à lutter pour leur bien-être.

Universitaire, Pulchérie Edithe Gbalet est titulaire d’un DEA de sociologie de l’université de Bouaké, actuelle Université Alassane Ouattara en 1999. Engagée au Bureau national d’étude technique et de développement (Bnetd), elle participe aux enquêtes de terrain. Syndicaliste avec un passage à la centrale Dignité, l’une des puissantes faîtières des organisations syndicales ivoiriennes fondée par feu Mahan Gahé Basile, Pulchérie Gbalet est une aguerrie. Elle franchit un pas en s’invitant dans la cause humaine face aux oppressions des puissants, selon elle.

En 2016, elle lance le Forum des organisations de la société civile (Forsci) et plaide pour la réconciliation, la paix, l’amnistie pour les prisonniers politiques et l’indemnisation des victimes de la guerre. Opiniâtre, cette jeune dame originaire d’Oumé en pays Gagou ou Gban, mère de trois enfants, ne recule devant rien même quand des membres de sa famille s’inquiètent ouvertement des risques qu’elle prend au péril de sa vie.

« Je suis consciente d’être dans un environnement non sécurisé, mais il ne faut pas que les choses s’arrêtent à moi. Sans moi, le peuple doit pouvoir continuer la lutte. On ne peut me convaincre d’arrêter le combat », ne cesse-t-elle de répondre aux préoccupations de ses proches. C’est une fonceuse née qui multiplie les initiatives récoltant quelquefois des lauriers, bien d’autres fois des échecs. Mais elle reste concentrée sur son sujet croyant en des lendemains meilleurs dans son engagement qu’elle considère comme un sacerdoce.

Pulchérie Gbalet est, également, la fondatrice de l’Action pour la Restauration de la Dignité Humaine (Ardh) après avoir pris quelques distances d’avec le Forsci, perçu par certains comme une organisation politique alors qu’elle veut se limiter au champ des droits de l’homme. C’est avec cette organisation qu’elle lance en 2019 le mouvement des ‘’Gilets oranges’’ en Côte d’Ivoire, à l’image des gilets jaunes en France. Le mouvement s’effrite après une première action vite réprimée. Elle échappe à une arrestation.

Plus tard avec Alternative citoyenne ivoirienne (Aci), sa nouvelle plateforme, elle engage en 2020, la contestation contre le troisième mandat d’Alassane Ouattara après avoir protesté à l’époque contre la nouvelle constitution de 2016, qu’elle jugeait déjà inopportune et illégitime.

A la Maca où elle se trouve en ce moment, elle ne pense qu’à demain quand elle aura tourné la page de la prison, à ses camarades militants et militantes ainsi qu’ à ses trois enfants.

Geneviève MADINA