@informateur- Né le 5 mai 1934 à Daoukro, Henri Konan Bédié dit HKB est décédé à Abidjan le 1er août 2023. Deuxième président de la République de Côte d’Ivoire, il a succédé, à la tête du pays, au père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne, le président Félix Houphouët-Boigny décédé le 7 décembre 1993. Mais il a aussi succédé au Sage de Yamoussoukro à la tête Pdci-Rda.

Un parti qui traverse aujourd’hui la troisième crise majeure de son histoire. Il serait difficile d’embrasser d’un seul regard l’histoire du parti septuagénaire et le parcours de l’homme d’État et Chef d’État que fut celui qu’on avait surnommé «Le sphinx de Daoukro». Mais on peut revenir sur les étapes capitales qui ont marqué sa trajectoire et sa présence à la tête du Pdci-Rda.

En effet, quand le père de la Nation meurt en 1993, Henri Konan Bédié, alors président de l’Assemblée nationale et dauphin constitutionnel à ce titre, hérite du pouvoir dans un contexte de lutte pour la succession du « Vieux» au sein du parti au pouvoir. Il a en face de lui le Premier ministre Alassane Dramane Ouattara qui ne se désintéresse pas du fauteuil. C’est la première crise majeure traversée par le parti laissé par Félix Houphouët-Boigny. C’est une crise de succession et d’ambition qui aura des conséquences énormes pour le parti au pouvoir et pour son nouveau président.  Car, il va s’en suivre une guerre sans merci entre les deux hommes qui sera le point de départ d’une scission au sein du parti.

Un groupe de cadres du Pdci-Rda, conduits par Djéni Kobena, se détache du Pdci-Rda après une grave mésintelligence avec la haute direction du parti pour créer le Rassemblement des Républicains (Rdr), sous le regard bienveillant, dit-on, de Philippe Grégoire Yacé, ancien compagnon du président Félix Houphouët-Boigny, lui aussi, frustré de la succession au profit de Bédié et qui aurait été dans l’ombre l’instigateur de la création du Rdr.

Beaucoup d’observateurs se demandent alors si le parti laissé par Félix Houphouët-Boigny va lui survivre. Mais en dépit des vents qui le secouent et l’agitent, le parti ne se désagrège pas. Fort de ses ressources, de son long et riche passé et de ses acquis, le Pdci-Rda, ancien parti unique, reste en place et continue d’exister en tant que parti au pouvoir. Et pendant que le dauphin constitutionnel règne à la tête du pays, Alassane Ouattara, traqué pour la question de sa nationalité par le pouvoir alors en place, doit s’exiler. Il ne reviendra en Côte d’Ivoire qu’après l’éviction de son farouche adversaire.

Entre temps, après la mort de Djéni Kobena, il prend la tête du nouveau parti, le Rdr dont il était auparavant le «mentor» discret. Bédié, lui, ne connait pas le règne tranquille qu’il aurait souhaité. S’il se maintient au pouvoir après avoir remporté l’élection présidentielle de 1995, il est persécuté par l’opposition conduite par Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara qui ont tissé une alliance au sein du Front républicain.  Le sphinx de Daoukro, qui a fort à faire avec ses opposants qui agitent contre lui la question de «l’ivoirité» qui lui vaut d’être accusé de «xénophobie et d’exclusion des gens du Nord», est confronté à la communauté internationale et à une partie de l’opinion qui jettent un regard critique sur sa gestion des ressources de l’Etat.

Au plan politique le contexte se trouble quand des cadres du Rdr sont emprisonnés en 1999 à la suite d’événements qui crispent l’atmosphère. Fin décembre 1999, alors qu’on se dirige vers les fêtes de fin d’année, l’histoire bascule pour Bédié et pour son parti. Une revendication salariale de soldats des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire ( Fanci) qui réclament leurs primes de retour d’une mission en Centrafrique et des meilleures conditions de travail et de vie tourne à la revendication politique. Les soldats mutinés exigent la libération des cadres du Rdr emprisonnés.

A(re)lire PDCI-RDA : Qui pour succéder à Henri Konan Bédié?

Les discussions qui s’engagent pour calmer les esprits échouent et, le 24 décembre 1999, le général Robert Gueï prend la tête d’une junte militaire qui revendique un coup d’État, et annonce l’éviction du Président Henri Konan Bédié. Le drame est consommé pour le président Bédié qui, exfiltré par l’armée française, prend le chemin de l’exil avec des dignitaires de son parti, sa famille et des proches. Après une escale au Bénin, c’est la France qui l’accueille. Il perd ainsi le pouvoir que Félix Houphouët-Boigny lui a laissé et ne le retrouvera plus.

Pour son parti, le Pdci-Rda qui traverse sa pire intempéries, c’est la d’échéance. C’est la deuxième crise majeure vécue par le parti. Mais le Pdci-Rda, contrairement au sombre pronostic de ceux qui lui prédisaient le pire après le coup d’État, ne disparaît pas. Bien qu’en déshérence après la perte du pouvoir, il va donner la preuve de sa solidité en restant en vie.  L’élection présidentielle «calamiteuse» qui porte le président Laurent Gbagbo au pouvoir dans le contexte que l’on sait, après que le président du Rdr, l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara ait été déclaré inéligible par la Cour suprême en raison de la clause constitutionnelle cumulative quant à la nationalité des parents des candidats à l’élection présidentielle, va jouer une nouvelle carte, celle de l’opposition.

À Paris, Bédié retrouve son ancien ennemi juré, Alassane Ouattara en exil, lui aussi, dans la capitale française. Les deux hommes mettent de côté leur différend pour nouer une improbable alliance au sein du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, le Rhdp originel, en janvier 2005. Mais les évènements qui se déroulés bien avant la conclusion de cette alliance et qui ont déterminé ce choix de Bédié méritent d’être rappelés.

En effet, en 2001, le président Laurent Gbagbo lui aussi tourmenté par les démons de la crise politique ouverte depuis la mort du père de la Nation en raison de la lutte pour le pouvoir, lance le Forum de la réconciliation nationale. Il réussit le pari de faire revenir de leur exil Bédié et Ouattara qui prennent part à ces assises. Tout comme le général Robert Guéi qui a perdu l’élection présidentielle de 2000, dans des conditions sanglantes face à Laurent Gbagbo, avant de d’exister lui- aussi momentanément. Mais le forum de la réconciliation nationale n’atteint pas ses objectifs et c’est à nouveau l’exil pour Bédié et Ouattara.

Les choses prennent une tournure irréversible quand, le 19 septembre 2002, le président Laurent Gbagbo échappe à un coup d’État qui se mue en une rébellion qui va occuper la moitié Nord du pays pendant 10 ans. C’est ainsi qu’en 2005, le Rhdp originel voit le jour. C’est l’outil commun de combat de Bédié et de Ouattara qui va les conduire dans les circonstances que l’on sait à une cohabitation au pouvoir, après que Gbagbo ait été déchu du pouvoir après la tragique crise postélectorale qui a suivi la présidentielle controversée de 2010. Bédié qui espère toujours reconquérir le pouvoir, conclu dit-on, un accord qui sera dénommé «l’accord de Daoukro» qui a convaincu le Pdci-Rda de laisser Ouattara être le candidat unique du Rhdp originel, avec la promesse d’une alternance au pouvoir par la candidature unique de Bédié pour le compte du Rhdp originel et le soutien du Rdr au Pdci-Rda.

Hélas pour le sphinx de Daoukro, fin 2018 le pacte de Daoukro est rompu et le Pdci-Rda refuse de se fondre dans le parti unique Rhdp proposé par Ouattara. Le parti de Bédié, rompt avec Ouattara et claque la porte du Rhdp, crie à la trahison et annonce qu’il aura son candidat à l’élection présidentielle de 2020. Mais la crise électorale sanglante provoquée par la candidature de Ouattara qui avait pourtant annoncé son retrait de la course à la présidence et qui est revenu sur sa position après le décès d’Amadou Gon Coulibaly, le candidat initial du Rhdp unifié, ne permettra pas à Bédié de réaliser son rêve de reconquête du pouvoir en 2020. Qu’importe, l’ancien président de la République ne renonce pas à son combat. Il va mettre en place une stratégie de redynamisation et de renforcement des capacités et des instances et organes de son parti en vue de la reconquête du pouvoir en 2025.

Mais le destin ne lui en laissera pas le temps. Bédié s’éteint le 1er août 2023, laissant son projet inachevé et surtout un lourd héritage à son parti qui vit, même si cela n’y paraît pas, la troisième crise majeure de son histoire. L’enjeu est énorme pour un parti où se font face «les gardiens du temple» incarnés par Pr Maurice Kakou Guikahué et les jeunes cadres, ces jeunes loups aux dents longues comme Jean Louis Billon et Tidiane Thiam qui ne cachent pas leurs ambitions présidentielles dans un parti où la discipline est une règle d’or.

Pour l’heure, le parti reste digne et chacun, pour le respect de la mémoire du président du parti décédé, évite du mieux qu’il peut, de provoquer des éclats de voix irréversibles. C’est le calme malgré les murmures sourds et la polémique dans les médias et sur les réseaux sociaux. Le prochain congrès qui doit désigner le président du parti qui sera le candidat du Pdci-Rda à la présidentielle de 2025. Le parti de Félix Houphouët-Boigny dont l’œuvre a été continuée par Henri Konan Bédié survivra-t-il au sphinx de Daoukro ou alors s’enfoncera-t-il dans une guerre des clans et des ambitions qui va le faire s’effondrer comme certains le craignent ? Le temps et les évènements nous le diront.

Daouda LY