@informateur- Thibeaut Yoro est un acteur important de la filière café-cacao en Côte d’Ivoire. La preuve, il est, avec les organisations professionnelles engagées, l’un des principaux initiateurs de la journée d’hommage au Chef de l’État prévue le 6 juillet 2024 à Yamoussoukro. Dans ce 1er numéro de notre rubrique  »La Parole aux Planteurs », il explique le bien-fondé de cette journée, souligne la satisfaction des planteurs quant au prix bord champ du Kg de cacao qui a atteint le niveau inégalé de 1500 FCFA. Et pose par la même occasion l’une des principales préoccupations des planteurs, à savoir la rétrocession aux producteurs ivoiriens de la filière café-cacao, dont la gestion est détenue par l’État de Côte d’Ivoire. Entretien.
- Informateur.ci- Monsieur Thibeault Yoro, vous êtes un acteur bien connu dans le monde agricole, en particulier la filière café-cacao. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?
Thibeaut Yoro : Merci à informateur.ci de me donner la parole dans le cadre de sa rubrique ‘’La Parole aux Planteurs’’. Je suis le Secrétaire général et porte-parole de la Centrale syndicale agricole de Côte d’Ivoire et président du Groupement ivoirien d’Entretien de Plantations de Café- Cacao de Côte d’Ivoire. Toute modestie mise à part, je reste un acteur clé du monde agricole et un ancien de la filière café- cacao. La mission que je me suis donnée est d’œuvrer au développement de la filière café-cacao pour le bien-être des producteurs dont je défends les intérêts.
- Le 6 juillet 2024, les producteurs de café cacao organisent une journée d’hommage au président de la République, Alassane Ouattara. Pouvez-vous nous situer sur les raisons qui motivent l’organisation de cette journée d’hommage?
Pour nous, producteurs de café-cacao de Côte d’Ivoire, il est important d’organiser cette journée qui est une reconnaissance au président de la République pour les actions qu’il pose, les initiatives, les mesures et les décisions qu’il prend au fil des années pour améliorer le revenu et les conditions de vie des planteurs. Le président Alassane Ouattara est soucieux du bien-être des producteurs de Côte d’Ivoire. La preuve est faite, une fois encore, par la fixation du prix bord champ du Kg de cacao qui a atteint le niveau de 1500 FCFA pour la campagne intermédiaire 2023-2024.
- On parle d’un niveau jamais atteint…
Justement c’est un niveau jamais atteint, un prix jamais fixé en Côte d’Ivoire. C’est vrai qu’il y a une hausse des cours à l’international, mais il est important de reconnaître que le système que l’État ivoirien a adopté, avec le prix garanti, n’est pas le même que celui des autres pays. Pour nous, c’est déjà satisfaisant. C’est vraiment ce que nous souhaitons toujours, et c’est de bonne guerre, que le prix augmente davantage, pour que nous puissions gagner plus, mais le prix actuel est bon pour nous. Cela dit, cette journée d’hommage au Président de la République va aussi nous permettre de parcourir les régions du pays pour échanger avec les planteurs dans toutes les contrées en vue de recueillir leurs attentes. De sorte que cet événement sera aussi une occasion pour soumettre nos préoccupations à l’attention du Chef de l’Etat. Et les préoccupations, nous en avons beaucoup.
- D’aucuns estiment que les actions que vous avez citées ne sortent pas de la gestion normale d’un gouvernement et qu’il n’y a pas lieu d’organiser particulièrement une telle journée…
Vous savez, ce sont des interprétations qui ne peuvent pas nous détourer de nos objectifs. C’est vrai, chacun a son opinion et est libre de penser ce qu’il veut. Mais nous, producteurs de café-cacao de Côte d’Ivoire sommes une corporation consciente de ses intérêts et nous savons, plus que quiconque, ce qui est bon pour nous. Le salaire du producteur, c’est le prix bord champ. C’est pourquoi dès lors que ce prix augmente pour atteindre le niveau que nous avons actuellement, nous ne pouvons que nous en réjouir et par conséquent de dire merci à l’autorité qui y veille et qui a rendu cela possible. Nous ne sommes pas en train de dire que tout est parfait pour les paysans ou que leur vie est comme dans un paradis. Nous l’avons dit, les producteurs de café-cacao de Côte d’Ivoire ont beaucoup de préoccupations que nous allons porter à l’attention des autorités. Mais, nous le répétons, pour l’acte qui a été posé, il y a lieu de dire merci au président de la République car 1500 FCFA, ce n’est pas rien. Il y a la mise en place de l’Interprofession du café-cacao qui est une action bénéfique à saluer.
- La tournée de sensibilisation qui précède la journée d’hommage proprement dite a commencé depuis le 19 juin 2024. Comment les planteurs réagissent-ils à l’organisation de cette journée d’hommage au Président de la République?
Ils réagissent favorablement et accueillent bien l’événement. Sauf que des critiques nous sont faites par rapport aux couacs et aux ratés lors de l’hommage que les planteurs ont rendu au Chef de l’État en 2022 à Yamoussoukro. Sans aucune polémique, nous tenons à préciser que la précédente journée d’hommage a été organisée par un comité qui n’est pas le nôtre. L’organisation de la journée d’hommage au président de la République en 2022 ne nous engage donc pas. Si bien que dans leur ensemble les producteurs de café-cacao de Côte d’Ivoire accueillent favorablement cette journée et estiment que notre initiative est une bonne chose, en raison de son bien-fondé. Ils vont saisir cette occasion pour présenter leurs doléances au Chef de l’État. Mais ils souhaitent cette fois être bien traités. Ils ne veulent pas qu’on les envoie à Yamoussoukro pour les abandonner dans la rue comme cela a été le cas la dernière fois. C’est la seule remarque que les planteurs nous ont faite. Sinon, ils sont partants pour la journée d’hommage du 6 juillet prochain. Ils sont réceptifs parce que pour eux, c’est une occasion pour exposer les difficultés aux décideurs et aux pouvoirs publics.
- Qui finance cette journée d’hommage au président de la République. Certains pourraient soupçonner une main politique dernière cette action?            Â
Nous ne pensons pas qu’il faille poser une telle question, surtout sous cette forme. Nous sommes des producteurs de café-cacao qui avons pris l’initiative d’organiser cette journée d’hommage et nous avons pris les dispositions nécessaires pour la tenue de cet évènement important. L’organisation nous incombe de ce fait. Il n’y donc aucune main politique dernière notre action. Que les gens arrêtent de voir des mains politiques partout, surtout quand il s’agit du monde paysan! C’est bien nous (Ndlr : la Centrale syndicale agricole) qui avons lancé l’idée, en accord avec les autres organisations professionnelles de la filière café-cacao, devant le ministre d’Etat, ministre de l’Agriculture et du Développement rural, lors de l’annonce du prix bord champ du kilogramme de cacao pour la campagne intermédiaire 2023-2024, à l’auditorium de la Caistab. Ce n’était pas à une tribune politique. Ceci pour vous dire que ce sont les organisations professionnelles organisatrices de la cérémonie qui ont mis leurs moyens ensemble, par une cotisation, pour la tenue cet événement important. Cela dit, il y a toujours des opérateurs économiques, des autorités, des élus… qu’on sollicite pour leur appui, pas dans un cadre politique, mais en tant qu’acteur du développement soucieux de la situation du monde paysan. Du temps du président Félix Houphouët-Boigny les planteurs lui ont rendu hommage, du temps des présidents Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo on l’a fait. Aujourd’hui nous rendons hommage au président Alassane Ouattara. Ce n’est pas à un chef de parti politique que nous rendons hommage, c’est le président de l’exécutif qui, au plus haut niveau, a à charge la gestion du pays et par conséquent du monde agricole. Les interprétations et les appréhensions n’ont donc pas lieu d’être. Mais nous les concédons à ceux qui les font.
- Un autre sujet d’intérêt, vous le mentionniez tout à l’heure, est la mise en place de l’Interprofession. On sait qu’il y a eu la phase de la collecte des données, la vérification de ces données et la restitution de celles-ci. Quel regard portez-vous sur cette opération?
Il faut rappeler que l’Interprofession de la filière café-cacao devait être mise en place depuis 2011, si l’on s’en tient à l’ordonnance qui l’a créée mais malheureusement, elle n’a pas été mise en place pour des contraintes qui étaient légitimes. Parce que, par exemple, le recensement des producteurs n’était pas fait. On s’adresse à qui? Qui est planteur et qui ne l’est pas? Il fallait clarifier les choses. Aujourd’hui cela fait treize (13) ans que l’ordonnance portant création de l’Interprofession a été prise. Heureusement qu’au jour d’aujourd’hui, le Conseil du Café-Cacao a si bien réalisé le recensement. Il va sans dire que l’OIA (Ndlr : Organisation de l’Interprofession Agricole) peut se mettre en place car désormais on sait à qui on a affaire. C’est dans cette dynamique que des informations ont été demandées aux organisations professionnelles de producteurs : les associations, les coopératives, les unions, les fédérations et autres. Nous avons fait ce travail avec un cabinet commis à ce effet, sous le contrôle d’un Comité technique OIA  mis en place par le ministère de l’Agriculture qui a sillonné les régions pour voir, vérifier et analyser les informations et éléments que nous avons fourni relativement à la mise en place de l’OIA. C’est hier vendredi (Ndlr 21 juin 2024) que nous avons rencontré le comité pour restituer les résultats des missions qui ont été faites dans le cadre de l’Interprofession.
- Vous l’avez dit, il y a eu les efforts au niveau du prix, mais vous soulignez que la vie des paysans est loin d’être parfaite. Au-delà des efforts qui sont faits par les autorités pour apporter un mieux-être aux planteurs, est-ce que vous pouvez résumer les doléances que vous avez, au nom des planteurs, à porter devant les autorités?
Les doléances sont nombreuses et elles peuvent être catégorisées. Parmi les principales, les plus importantes, nous revendiquons que l’État rétrocède la filière café-cacao aux planteurs. C’est d’abord un vœu qui est vraiment très important pour nous. Depuis 2007-2008, quand les anciens dirigeants étaient là , paix aux âmes de ceux qui sont décédés, l’État a récupéré la gestion de la filière (ndlr: café-cacao) Hier, ce sont les planteurs qui géraient leur filière. Il faut dire qu’en Côte d’Ivoire, l’État n’a pas créé de plantations, le gouvernement n’a pas créé de plantations d’État de café-cacao. Les plantations appartiennent aux planteurs. C’est donc quelque part une injustice que le gouvernement gère à lui seul notre filière.
- Pour vous l’État doit se retirer de la gestion de la filière?
Bien sur. Ce sont nos plantations, c’est d’abord une activité privée. Mais comme nous sommes dans un pays de droit, nous acceptons que l’État ait un regard sur la gestion de la filière. Mais cette gestion ne doit pas se faire au détriment des planteurs. Et c’est ce que nous observons. Depuis 2007-2008 la gestion de la filière est aux mains de l’État. Qui, à lui seul, gère la filière. Nous, nous regardons, nous subissons, on nous impose…On n’est pas écoutés et nous avons un sentiment de frustration. Donc, en dépit de tout ce qui a été fait jusqu’à ce jour, nous souhaitons que les producteurs soient là où on décide et là où on gère. C’est d’abord cela. Nous disons que c’est primordial. C’est pourquoi nous nous mobilisons et nous accompagnons le processus de mise en place de l’Interprofession café-cacao, quoi que nous observons de petits dérapages. Mais nous souhaitons que l’État se désengage de la filière café-cacao comme les partenaires au développement l’ont recommandé pour que les planteurs eux-mêmes prennent la gestion de leur filière en main. Parce que nous sommes les mieux indiqués pour savoir ce qui est bon pour nous. L’État doit comprendre que les paysans ont besoin de décider pour eux-mêmes.
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