@informateur- Edwige Kossonou, secrétaire nationale aux projets de la Confédération des organisations de victimes des crises ivoiriennes (Covici), est aussi la coordinatrice du projet du Fonds mondial pour les survivantes des crises, en anglais Global survivors fund (GSF). Elle explique dans cet entretien le bien-fondé de ce projet et fait l’état des lieux des victimes des violences sexuelles liées aux conflits en Côte d’Ivoire (VSLC).
- Madame la coordonnatrice, c’est quoi le GSF et le VSLC ?
Je suis la coordinatrice du projet Fonds mondial pour les survivantes en anglais Global survivors fund (GSF). Il s’adresse aux survivantes de violences sexuelles liées aux conflits (VSLC), un concept créé en 2019 par les Prix Nobel de la paix 2018, le Dr Denis Mukwege et Mme Nadia Murad. C’est un fonds qui vise à améliorer l’accès des survivantes à une réparation spécifique parce que les violences sexuelles liées aux conflits constituent une catégorie de préjudices qu’on ne peut inclure dans les simples violences physiques. Il faut donc une réparation spécifique pour ces victimes.
- Quel est l’état des lieux des VSLC ?
L’état des lieux est alarmant en Côte d’Ivoire parce que la liste consolidée des victimes produite par la Conariv fait état de 2441 cas de victimes de violences sexuelles liées aux conflits. Et sur ces cas, l’Etat n’a dédommagé que 150 victimes qui ont été réparées en tant que blessées. Alors que ce sont deux préjudices totalement différents. Il devrait y avoir une approche différente. Celle du gouvernement doit être revue. Parce que lors d’un séminaire, il y a un représentant du ministère de la Solidarité d’alors qui a voulu nous confondre sur la question en disant que nous soutenons qu’il y a des milliers de victimes mais lorsqu’on les appelle pour savoir si elles ont été violées effectivement, elles disent qu’elles ne l’ont pas été. Nous lui avons dit qu’aucune femme ne pouvait dire à quelqu’un qu’elle ne connait pas et qui, de surcroît, l’appelle au téléphone, qu’elle a été victime de viol. Il faut plus de tact.
- Il n’y a donc pas de cadre formel qui a été mis en place pour identifier les victimes de viols ?
Non, il n’y en a pas. Mais sur ces cas-là, la CDVR et la Conariv ont bien travaillé puisque les victimes sont connues. Et, généralement, des écoutes ont été faites et ces structures ont pu identifier les victimes de violences sexuelles. Il fallait suivre la même approche pour pouvoir les prendre en charge. Mais, ils restent derrière leur téléphone pour appeler les victimes de viols. Il faut aller sur le terrain pour les rechercher. Puis demander leurs besoins en matière de réparation.
- Comment se fait la réparation dans le cadre de ce projet?
Pour l’instant, la prise en charge se fait au niveau psychologique. Lorsque les partenaires du GSF sont arrivés en Côte d’Ivoire, d’octobre 2021 à janvier 2022, ils ont passé près deux semaines à écouter des victimes qu’on avait préalablement identifiées dans quatre zones, à savoir, Abidjan, Bouaké, Duékoué et Man. C’est par l’écoute que nous avons pu connaitre leurs besoins. Il faut dire que GSF ne vient pas réparer les victimes de viols, on ne va pas faire cette promesse-là. Mais GSF donne des pistes de solutions pour la réparation. C’est vrai qu’il n’y a eu que 5% de réparations au niveau des victimes.
- Quelles peuvent être ces pistes?
Dans le cadre du projet, ils ont entamé le volet psychologique. Cela a consisté en l’organisation d’activités ludiques. On a essayé de leur remonter le moral à travers lesdites activités. Elles ont dansé, elles se sont libérées. C’est une approche psychologique. Après avoir écouté les victimes, on demande leurs besoins en matière de réparation. Ces besoins ont été collectés et compilés dans le rapport de synthèse qui a été fait au terme de cette étude. Pour ce qui concerne l’approche, une équipe a été mise en place dans les quatre localités qui ont été retenues (Abidjan, Bouaké, Duékoué et Man). Dans chacune, on a un point focal de la Covici plus un assistant social, deux victimes formées à l’écoute. Voilà comment a été faite l’approche.
- Est-ce que les recommandations de GSF ont un caractère contraignant pour l’Etat de Côte d’Ivoire ?
Non, du tout. Nous plaidons pour une approche participative. Nous sommes des organisations de la société qui interpellons l’Etat sur ce qu’il ne fait pas. Pour ça, nous sommes allés voir la ministre de la Cohésion sociale, Myss Belmonde qui nous a reçus elle-même. Les responsables de GSF qui étaient présents lui ont expliqué le projet pour montrer que GSF a été créé par un Prix Nobel de la paix, Denis Mukwege qu’on appelle le réparateur des femmes. La ministre étant elle-même une femme, je pense qu’elle a été sensible au plaidoyer des représentants de GSF. Il faut noter que les victimes de Côte d’Ivoire n’ont pas connu une bonne prise en charge. Il revient donc à l’Etat de corriger les choses. Parce que la réparation est l’une des conditions de la réconciliation. Il faut donc soutenir ces femmes. L’objectif de GSF est d’amener les Etats qui en ont les moyens à mettre en place un processus de réparation fiable et efficace qui puisse contribuer à redonner à ces femmes victimes de viols leur dignité.
- Quelles sont les recommandations faites dans le rapport sur les VSLC ?
Les recommandations sont de plusieurs ordres et elles s’adressent à la fois à l’Etat, à la société civile et aux partenaires internationaux. Pour ce qui concerne l’Etat, il lui est demandé, premièrement, de considérer la réparation comme un droit et non une prestation de plus ; deuxièmement, d’élaborer et d’adopter une loi sur les réparations en consultation avec les survivantes ; troisièmement, de clarifier et de simplifier le processus de vérification utilisé pour déterminer l’éligibilité à la réparation et communiquer le statut aux survivantes identifiées, etc. A l’endroit de la société civile, le rapport propose de former des alliances stratégiques avec des bureaux et des acteurs gouvernementaux sur des objectifs communs ; de mener des initiatives d’éducation civique et de sensibilisation en mettant l’accent sur l’accès à la réparation et sur la lutte contre la stigmatisation des survivantes, etc. Quant aux partenaires internationaux, on attend d’eux qu’ils soutiennent l’octroi d’une réparation et d’une assistance provisoires; s’engagent à apporter un soutien à long terme aux survivantes, au-delà des cycles budgétaires réguliers, entre autres…
Réalisé par Ousmane MODIBO