@informateur- La corruption en Côte d’Ivoire reste une des plaies les plus profondes de l’économie. D’autant plus qu’en dépit des instruments mis en place et des mesures prises pour la combattre, les cas de corruption semblent augmenter au fil des ans. En effet, la presse s’en était largement fait l’écho, au mois de juillet 2021, 473 personnes ont été inculpées pour corruption, enrichissement illicite, blanchiment, détournement de deniers et titres publics.
Ces chiffres ont été mentionnés dans le rapport du Pôle pénal économique et financier (Ppef) et de la Haute autorité pour la bonne gouvernance (Habg). Et des sanctions contre les auteurs de ces actes de malveillance ont été promises par les autorités compétentes. Mais alors que les Ivoiriens attendaient d’en savoir davantage sur la suite judiciaire donnée à ses dossiers, l’identité de ses criminels économiques et leur procès, d’autres faits tout aussi graves se sont produits.
En effet, l’ex-ministre de la Promotion de la Bonne gouvernance et de la Lutte contre la corruption, Epiphane Zoro, avait indiqué, courant janvier 2023, que la plateforme Spacia chargée de se pencher sur les cas de corruption a enregistré, de janvier à décembre 2022, un total de 519 signalements (cas de fraude) pour un préjudice estimé à plus de 52,585 milliards de Fcfa. De mieux en mieux ! «On le voit, les criminels économiques, qui ne semblent guère intimidés par les outils mis en place et les mesures prises pour les contrer, continuent la saignée de l’économie ivoirienne. Mais qu’est-ce qui explique leur audace ? La réponse à cette question se trouve immanquablement dans l’opacité qui entoure la gestion des dossiers de grande corruption, l’absence de sanctions exemplaires rendues publiques pour les dissuader et la protection politique dont semble jouir les hauts cadres et dirigeants au sommet de l’Etat…De quoi procurer aux fossoyeurs de l’économie ivoirienne un sentiment d’impunité qui ne peut les enhardir», ont déploré des observateurs avertis.
Le fait est que les délinquants et criminels économiques de tous poils continuent leur travail de sape de l’économie en Côte d’Ivoire. Et rien ne semble pouvoir les arrêter. Ni les outils mis en place pour combattre ce fléau endémique, ni les mesures et les sanctions annoncées par les autorités en charge de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption ne semblent les impressionner. De plus en plus audacieux et cupides, ils n’ont guère l’intention d’arrêter la saignée de l’économie ivoirienne. Et ce n’est pas l’ex- ministre de la Promotion de la Bonne gouvernance et de la Lutte contre la corruption, Epiphane Zoro, aujourd’hui président de la Habg, qui dira le contraire. Lui qui s’affligeait de l’ampleur de ce fléau devant les représentants de l’agence de coopération Allemande GIZ, les 26 et 27 janvier 2023, à l’attention des points focaux de la plateforme Spacia destinée à la lutte contre la corruption. Ces signalements, révélait le premier responsable de la lutte contre la corruption en Côte d’Ivoire, se sont soldés par 81 missions de vérifications entreprises dans diverses localités. Ces missions ont permis d’épingler plus d’une vingtaine de fonctionnaires et agents de l’Etat.
La SPACIA, faut-il le rappeler, a été créée par décret N°2022-264 en date du 13 avril 2022 et a été officiellement mise en opération en juillet 2022 à l’occasion de la Journée africaine de Lutte contre la corruption. Organe de prévention et de détection des actes de corruption et infractions assimilées, cette cellule revêt une importance capitale dans la détection des cas de corruption à travers une plateforme Web (www.spacia.gouv.ci) et un numéro vert gratuit (1345). Faut-il le rappeler, la mise en place de la plateforme de dénonciation des actes de corruption et infractions assimilées dénommée Spacia, a été annoncée le mercredi 13 avril 2022, à l’issue du Conseil des ministres. Ainsi, «La Spacia intègre un numéro vert et une plateforme informatique, avec pour missions de recueillir les dénonciations, les signalements ou alertes des cas de corruption et infractions assimilées, et de procéder à leur traitement. Selon le gouvernement, la création de cet organe vise à renforcer et à améliorer le dispositif de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées, de façon à insuffler plus de transparence dans la gestion des affaires publiques. Et, en cas de faits concordants ou d’infraction avérée, la Spacia est habilitée à saisir les autorités compétentes, mais également à assurer le suivi des mesures prises. C’est en fait début juin 2022 que l’ex- ministre de la Promotion de la bonne Gouvernance et de la Lutte contre la Corruption, Zoro Épiphane Ballo, avait annoncé le lancement de la plateforme dem dénonciation des actes de corruption, Spacia.ci, invitant l’ensemble des populations à l’utiliser pour dénoncer tout acte de corruption. Selon le ministre, le dispositif Spacia.ci est une contribution citoyenne contre la corruption. Il traduit la ferme volonté du gouvernement d’enrayer le phénomène de la corruption», expliquait le gouvernement aux médias.
Zoro Épiphane Ballo n’avait pas manqué d’indiquer que la corruption fait perdre à la Côte d’Ivoire 1 300 milliards de FCFA chaque année, soit 4% du Produit intérieur brut (PIB) et l’équivalent de près de trois fois l’aide publique au développement. Mais le constat est que la mise en place de la Spacia en 2022 n’a visiblement pas dissuadé les réseaux de corruption qui ont, au contraire, amélioré leur score de 2021. Concernant les 473 personnes inculpées en 2012 pour corruption, enrichissement illicite, blanchiment, détournement de deniers et titres publics, le secrétaire général de la Habg, Henri Augustin Aka, avait révélé à la presse que : «Sur 305 dossiers enregistrés, 104 ont été clôturés dont 86 renvoyés en police correctionnelle. Soixante dossiers ont déjà fait l’objet de jugement et 21 sont en cours de jugement. Quatre cent soixante-treize personnes ont été inculpées à divers titres, à savoir pour corruption, enrichissement illicite, blanchiment, détournement de deniers et titres publics, etc. Sur les 60 dossiers jugés par le tribunal de Première instance d’Abidjan-Plateau, l’on note sept condamnations pour corruption et infractions assimilées, 32 condamnations pour blanchiment de capitaux et 21 condamnations pour délits économiques divers».
Selon lui, le tribunal a ordonné la confiscation, au profit de l’Etat de Côte d’Ivoire, des biens meubles et immeubles ayant servi à commettre ces infractions ou étant les produits tirés de ces infractions. Henri Augustin Aka avait signifié qu’outre les résultats portant sur les dossiers déjà transmis au Ppef, la Habg a enregistré 35 dossiers de plaintes et de dénonciations pour la période allant du 1er janvier au 30 juin 2021. «A la suite des investigations menées par la Habg, sept enquêtes pour soupçons de corruption et d’infractions assimilées ont été bouclées et les procès-verbaux ont été transmis au procureur de la République compétent pour les suites judiciaires. Un dossier a déjà fait l’objet de jugement avec une condamnation, les six autres étant encore au stade d’instruction», a -t-il précisé. Soulignant la collaboration entre le Pôle pénal économique et financier et les différents acteurs de l’écosystème de la lutte contre la corruption et les infractions assimilées.
Faut-il le préciser, le Pôle pénal économique et financier (Ppef), créé avant la Spacia, a été mis en place en 2020 au titre du renforcement du dispositif juridique et institutionnel et est logé à l’intérieur du Parquet d’Abidjan. Il est chargé des enquêtes, poursuites et instructions relatives aux infractions économiques et financières. Ce pôle travaille en relation avec une chambre spécialisée de jugement qui a vu le jour plus tôt, en mai 2021. Malheureusement, les réseaux de corruption de plus en plus audacieux, malgré le renforcement des organes de lutte contre le fléau.
En fait, en Côte d’Ivoire, les institutions et organes de contrôle de la bonne gouvernance et de régulation ne manquent pas. La Haute autorité pour la bonne gouvernance (Habg), le Pôle pénale économique et financier (Ppef), (l’ex-ministère dédié de la Promotion de la Bonne gouvernance et de la Lutte contre la corruption ), la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif-ci) ; l’Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (Anrmp), le Projet d’Appui à la Gestion Economique et Financière (PAGEF), l’Agence Judiciaire du Trésor chargé du recouvrement et de la gestion des avoirs illicites, l’Inspection Générale des Finances (IGF) / Brigade de lutte contre la corruption, entre autres.
Hélas, dans un pays où la corruption est une tradition fortement enracinée, tout cet arsenal ne semble aucunement dissuader les réseaux de corruption au sommet de la République et dans les milieux mafieux des affaires qui les côtoient. «Pourquoi une telle hardiesse face à cette batterie d’outils et d’instruments de lutte contre la corruption ? Qu’est-ce qui explique le fait que ce fléau continue de progresser, au regard des chiffres susmentionnés, là où l’on était en droit d’attendre un net recul vu le dispositif mis en place en Côte d’Ivoire dans le cadre la bonne gouvernance ?», ne cessent de s’interroger les médias. Les observateurs restent convaincus que la plus grande difficulté, qui entraîne le reste de la chaîne, réside dans les enjeux des intérêts politico-financiers au sommet, qui rendent difficiles les sanctions contre les «gros poissons» de la corruption en Côte d’Ivoire, à certain niveau du pouvoir politique. Comment le parti politique pourrait-il sanctionner un haut cadre, dirigeant ou élu qui transforme les deniers publics dont il a la charge de la gestion en caisse noire pour y puiser les ressources nécessaires à son financement de son parti?
«En Côte d’Ivoire, aucun dirigeant ne s’engagera à répondre à cette pertinente question. Et c’est là le drame. Car, le dirigeant ou haut cadre ainsi couvert couvrira à son tour ses complices dans les milieux d’affaires douteux et les acteurs de moindre taille qui tournent autour de lui. Ceux-là sont sûrs de ne rien avoir à craindre car ils savent pouvoir jouir d’une parfaite impunité dès lors que leur couverture est assurée», déplorent-ils.
Et le mal est si profond que rien n’échappe à la corruption en Côte d’Ivoire. La gestion de fonds publics, la passation des marchés publics, l’utilisation des fonds destinés aux projets, les ressources fiscales et douanières, les actes de l’Administration, les missions des agents de l’Etat…Hélas, malgré les efforts faits par les institutions et organes de la bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, le dernier mot en ce qui concerne la sanction des actes de corruption au sommet reviendra toujours au politique. Les causes de la corruption étant en grande partie politiques, l’inefficacité des poursuites judiciaires l’encourage. Et le flou qui entoure les dossiers de mal gouvernance et de corruption en Côte d’Ivoire n’est pas fait pour aider à la transparence qui est indispensable dans le cadre de la lutte contre la corruption.
La presse ne rappelait-elle pas il y a quelque temps, que dans le dossier des audits diligentés dans les ministères et structures de l’Etat suite aux affaires de détournement de fonds qui ont éclaboussé nombre de dirigeants, le gouvernement avait choisi de garder le silence sur les résultats des enquêtes commanditées par l’Inspection générale d’Etat ( Ige) sous le prétexte que les résultats de ces audits n’étaient destinés qu’au gouvernement et au gouvernement seul, qui en a fait la demande, juste pour améliorer la gestion et la gouvernance de l’Administration et des structures de l’Etat ?
«A ce jour, en dehors du cercle gouvernemental des initiés, personne ne sait ce qui a été découvert lors de ces audits. Le mystère reste entier. La vérité a été recouverte par le droit de réserve qui l’a emporté, dans le dossier des audits, sur l’obligation de transparence», regretta un confrère. Dans les dossiers des 473 personnes inculpées depuis 2021 pour corruption, enrichissement illicite, blanchiment, détournement de deniers et titres publics rendus publics par le Ppef et la Habg, c’est l’opacité totale. Les autorités n’ont livré aucune information sur l’identité des personnes reconnues coupables, la suite de leur procès devant le tribunal et les sanctions qui leur ont été appliquées. On ne sait pas plus quelle est la nature des biens qui ont été confisqués par la justice et l’état des fonds dont ils ont pu disposer illicitement. Et ce n’est certainement pas de sitôt que les Ivoiriens auront des informations précises sur les 519 signalements de cas de corruption et leur auteurs présumés, encore moins sur la suite qui sera concrètement donnée à ces affaires. De quoi apporter de l’eau au moulin de l’opinion qui pense que de nombreux dossiers sont en fait des affaires politico-financières louches dans lesquelles il est illusoire de s’attendre à de véritables sanctions contre les auteurs de ses actes de corruption…
L’ancien ministre de la Promotion de la Bonne gouvernance et de la Lutte contre la Corruption, Epiphane Zoro Bi Ballo, «Monsieur Anti-corruption», qui a remplacé Ngolo Coulibaly à la tête de la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance a assurément du pain sur la planche.
Daouda LY