@informateur- «Le succès de ce pays (ndlr : la Côte d’Ivoire) repose sur l’agriculture», a dit, à raison, le père de la Côte d’Ivoire moderne, le président Félix Houphouët-Boigny qui avait un profond respect pour les braves paysans, acteurs de ce succès qui a permis de jeter les bases du progrès dont tous ses successeurs et héritiers sont fiers aujourd’hui. En effet, la Côte d’Ivoire, premier pays producteur et exportateur de cacao dans le monde, dont l’agriculture représente la part la plus importante du Produit intérieur brut (Pib) 40%, doit ce statut et la fierté qui en découle au dur labeur des paysans. Qui devraient en retour tirer un bien-être de leur performance au plan économique. Hélas, les agriculteurs ivoiriens qui ont tant donné et continue de donner tirent aujourd’hui le diable par la queue.
Dans un contexte de pauvreté grandissante, de cherté de la vie exacerbée et de crise économique mondiale, leurs revenus ont drastiquement chuté. Pour eux, les fruits de la croissance tant vantée par les autorités et dont ils sont les artisans, demeurent un leurre. Dans les plantations, c’est la grande galère. Pour la plupart des planteurs, la production a chuté de façon inquiétante. Les vergers qu’ils entretiennent à grand frais n’ont plus la productivité escomptée. Pour la saison en cours, la production de cacao attendue durant la grande traite tournerait autour de 1,3 million de tonnes contre une prévision de 1,8 million de tonnes au lancement de la campagne en septembre 2023. Et alors que cette baisse devrait induire une augmentation du Prix bord champ fixé à 1000 FCFA, le plus bas derrière la Guinée et le Cameroun, c’est le statu quo. Les planteurs qui se sont confiés à informateur.ci s’en affligent.
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Les facteurs de la baisse de leur production sont multiples au-delà des aléas climatiques. Ils évoquent d’abord la mauvaise qualité des intrants vendus sur le marché aujourd’hui. Les pesticides proposés seraient de piètre qualité et ne correspondent pas toujours aux sols traités. «Si le cacao disparaît la misère va beaucoup s’accroître en Côte d’ivoire et ça sera bonjour la Méditerranée et elle disparaîtra aussi si on n’y prend garde. Ç est un secteur où la supervision de l’Etat n’est que de nom. Concernant la baisse de la production, il y a plusieurs facteurs qui expliquent cela en dépit des aléas climatiques. Premièrement les intrants proposés sur le marché sont de très mauvaise qualité: un insecticide qu’on traitait 2 fois par an est devenu 12 fois par an et ça ne donne même pas de bon résultats», pointe du doigt Saidou Sambedgo quand Severin Bazzaud, lui, s’attaque aux engrais. «Le manque de professionnalisme va tuer notre pays. Aucune enquête n’est menée sur le terrain pour comprendre la cause réelle de la non-production. Depuis près de 3 années vous criez à la surproduction de la fève. La production a commencé à baisser depuis 3 années. Si rien n’est fait, ça risque d’être encore plus grave (…). Tous les producteurs utilisent des engrais qui sont sans composants réels pour le renforcement de nos terres. Tous les planteurs qui ont utilisés les célèbres engrais bien connus en Côte-d’Ivoire ont vu leurs plantations s’appauvrir malgré les prix presque doublé du sac d’engrais. Pourtant ceux qui ont utilisé les engrais bio (caca de poulet) la production était 3 fois meilleures à celle qui ont eu les engrais usine. Donc le problème est au niveau de la fabrication des engrais», met en cause M. Severin Bazzaud, planteur. Une réalité à laquelle s’ajoute, selon M. Jean- baptiste Attoukora, un autre planteur, «les maladies bizarres qui emportent les plantations sur leur passage. Il faudrait que les organismes du café cacao se penchent sur ce problème».
Ibrince Anzan, producteur de Café-cacao dans la zone de Méagui, lui aussi mécontent revient sur «l’echec du cacao Mercédès». Il explique que cette variété de cacao mise au point et présentée, il y a plus d’une décennie, comme la solution miracle pour augmenter la productivité des vergers dans un cycle de récolte plus court et avec un tonnage des récoltes plus important sur des espaces plus réduits, n’a pas tenu toutes ses promesses. «Cette nouvelle variété a été un échec total, car elle ne supporte pas notre climat. Nous l’avons planté mais une fois en production, la maladie du cacao l’a emporté. Il faudrait que le conseil café-cacao approche les producteurs dans les plantations pour une nouvelle façon de faire», se désole-t –il. Insistant sur le fait qu’en dépit des efforts de Rainforest Alliance, UTZ, Cargill et l’Anader dans certaines régions en vue de pérenniser le cacao Mercédès, cela n’a pu empêche son échec. C’est qu’avec l’âge des vergers qui sont agressés par des maladies des plantes comme le swollen shoot, cette variété de cacao rencontre des limites et ne peut de ce fait, aux dires des planteurs, constituer une solution durable contre la baisse de la production.
Tout cela amène, Olaf Ohoueu à la conclusion suivante : «Le Cacao aujourd’hui ne profite plus aux paysans mais plutôt à un groupe d’individus assis dans des bureaux à Londres et à Abidjan. Comment comprendre qu’une filière qui a porté l’économie de tout un pays pendant plus de 60 années et que l’acteur majeur de cet exploit (le planteur) n’arrive même pas à se soigner convenablement. Ce n’est pas le climat qui anticipera la chute de cette filière mais plutôt la misère que vivent les planteurs au quotidien».Conséquence, beaucoup par instinct de survie ont entrepris une reconversion vers d’autres cultures. «(…) Dans plusieurs zones, on remplace progressivement les vieux cacaoyers par du palmier et de l’hévéa, cultures pour lesquelles la demande de main d’œuvre est relativement inférieure. D’autre part, la cacaoculture souffre de la maladie qui persiste et menace toujours le renouvellement du verger qui est rendu difficile par les longues sécheresses qui appauvrissent les sols», fait remarquer Jean-Baptiste Kouamé, un autre producteur. Son analyse est pleinement partagée par Youssouf Sayoba. De fait, ce dernier raconte que «Prenant le taureau par les cornes, je me suis évertué à démontrer preuve à l’appui que si nous n’agissons pas, le verger de cacao disparaîtra au détriment de reconversion à grande échelle en hévéa culture. Je n’ai cessé de tirer sur la sonnette d’alarme en proposant même une enquête diligentée par l’Anader. Hélas ! Nous assisterons sous peu à d’énormes difficultés dans la filière liées au volume et donc à la fermeture de certaines scoops et ses corollaires».Des alertes qui, selon lui, sont toutes tombées dans les oreilles de sourds.
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Autre facteur de la baisse de la production, la main d’œuvre agricole qui se fait de plus en plus rare dans les zones cacaoyères en Côte d’Ivoire. De fait, en campagne, se désolent les producteurs de Café cacao, les jeunes qui sont les bras valides désertent les plantations pour se tourner vers des secteurs comme l’orpaillage qu’ils estiment plus attractif en termes de gains, de revenus. Les jeunes ne sont plus trop disposés à s’écorcher les paumes des mains et des pieds dans les plantations pour des broutilles. À cela s’ajoutent le mauvais état des pistes villageoises quand vient le moment de l’acheminement des produits des plantations et zones de production vers les zones de collecte et de vente.
Enfin, l’ultime misère endurée par les paysans est le racket des agents véreux des forces de l’ordre sur les routes pendant le ramassage et l’acheminement des produits. Au grand désespoir des paysans, la pratique de l’extorsion de fonds par la menace et l’intimidation à laquelle les agents corrompus des forces de l’ordre depuis toujours malgré les dénonciations incessantes, continue à l’encontre des planteurs de café cacao sur le territoire ivoirien. Aussi les producteurs appellent-ils le président Alassane Ouattara et le gouvernement à initier une campagne d’évaluation régulière et une enquête de proximité périodique à chaque traite cacaoyère sur le terrain, pour toucher du doigt le vécu des planteurs, loin des bureaux climatisés du ministère de l’Agriculture et du Conseil du Café cacao où on se contente de faire des discours, des annonces, et des calculs sur le papier, en donnant des chiffres et des estimations sur la filière café cacao qui ne tiennent pas toujours compte de la souffrance des paysans dans les plantations.
Une chose semble se confirmer, c’est qu’à l’heure de l’entrée en vigueur de la réglementation de l’Union Européenne, du démantèlement de la production clandestine dans les forêts classées et de l’interdiction de création de nouvelles plantations, de la traçabilité, de la lutte acharnée contre l’évasion des fèves vers la guinée, et des effets du changement climatique, la Côte d’Ivoire va inéluctablement enregistrer des baisses de volumes de sa production. Cela va-t-il induire une augmentation substantielle du prix bord-champ du kg du Cacao? En tout état de cause, c’est ce qu’espèrent les planteurs. C’est à ce prix, disent-ils, que leurs enfants cesseront «d’emprunter la voie périlleuse de l’immigration clandestine». Plaidoyer émouvant en pleine CAN.
Daouda LY